NI VU NI CONNU (1958)
SCÉNARIO :
Yves Robert, Jean Marsan et Jacques Celhay
D'après le roman d'Alphonse Allais :
« L'AFFAIRE BLAIREAU »
THÉÂTRE GUIGNOL - INTÉRIEUR JOUR
Plan rapproché de la scène d'un théâtre Guignol à l'ancienne.
Le générique, en lettres blanches, débute sur le rideau de scène
fermé. Puis le rideau s'ouvre sur une marionnette à gaine, qui
ressemble à Blaireau, tel que nous allons le découvrir dans la
suite du film. Derrière la marionnette, le décore représente une
grosse bourgade au bord d'une rivière. La marionnette joue une peu
à cache-cache avec le bord gauche du rideau de scène. Arrive, par
la droite, une autre marionnette portant un bâton. Cette
marionnette, qui porte un képi, ressemble au garde-champêtre
Parju, tel que nous allons le découvrir bientôt. Les deux
marionnettes, dos à dos, ne se voient pas. A un moment, elles se
retournent, se voient, et s'enfuient dans les coulisses, chacune
de son côté. Puis « Parju » revient sur scène, toujours son bâton
à la main, et cherche visiblement son adversaire. « Blaireau »
arrive derrière « Parju », qui ne le voit pas. Il tient, lui
aussi, un bâton dans ses bras, et il frappe « Parju » sur la tête,
puis il s'enfuit précipitamment. « Parju » se retourne et cherche
son adversaire. « Blaireau » revient subrepticement derrière
« Parju » et le frappe à nouveau, puis il s'enfuit en coulisses.
« Parju » cherche « Blaireau », qui revient face à « Parju ».
S'ensuit une sorte de ballet, où les deux protagonistes se toisent
du regard. Une courte bagarre et « Parju » s'enfuit en coulisses.
Puis il revient et toise de nouveau son adversaire. Chaque
marionnette tape quelques coups de bâton sur la bande. (Note :
dans un théâtre de marionnettes à gaine, la bande est la planche
située sur le devant de la scène, à hauteur du ventre des
marionnettes, et sur laquelle les marionnettes posent les divers
accessoires du spectacle) Puis le petit ballet d'intimidation des
deux marionnettes recommence. « Blaireau » tapote un peu « Parju »
de son bâton, et ils recommencent à danser. Chacune, à son tour,
pousse l'autre marionnette de l'extrémité de son bâton. La bagarre
s'intensifie, et les deux marionnettes roulent ensemble sur la
bande. Finalement, « Blaireau » assomme « Parju », puis ramasse le
corps inanimé de « Parju » sur la bande avec son bâton, et le
jette en coulisses.
Fin du générique
FONDU ENCHAÎNÉ
MONTPAILLARD - ENTRÉE DE LA VILLE - EXTÉRIEUR JOUR
Une route, bordée d'un mur de pierre, à l'entrée de la ville que
l'on aperçoit en plan général au bout de la route. En premier
plan, un panneau routier, sur lequel est inscrit « Montpaillard ».
Venant de la gauche, Parju, le garde-champêtre de la ville, entre
dans le champ. Le dos de son uniforme semble un peu sale. Il
marche sur la route, se dirigeant vers le centre ville. Une moto
arrive, à vive allure derrière lui, et le frôle, l'envoyant
valdinguer sur le mur. Le « motard » porte un casque blanc avec un
motif de damiers, et un blouson de cuir.
Panoramique, nous permettant de découvrir, devant le panneau
portant le nom de la ville, un autre panneau, plus imposant, sur
lequel est inscrit en lettre majuscules noires sur fond blanc :
« La ville la plus calme de France ».
La moto continue, sans s'arrêter, sa route vers le centre ville.
MAIRIE - SALLE DU CONSEIL MUNICIPAL - INTÉRIEUR JOUR
Plan moyen de Monsieur Dubenoît, le maire de Montpaillard. Il est
en costume sombre et noeud papillon. Il est debout sous le buste de
Marianne, elle-même entourée de deux drapeaux tricolores. De
chaque côté du buste de Marianne, une fenêtre entr'ouverte. Sur la
table devant le maire, est posé un téléphone.
MONSIEUR DUBENOÎT
Oui, Messieurs. Moi vivant, rien ne viendra troubler la
tranquillité de notre petite sous-préfecture.
Il ponctue sa phrase en se frappant la poitrine du poing.
MONTPAILLARD - UNE RUE - EXTÉRIEUR JOUR
Vue d'ensemble de la rue en enfilade. Au premier plan, une
charrette portant des tonneaux de vin. Une mule, portant un
chapeau blanc, est attelée à la charrette. Derrière la charrette,
deux hommes déchargent un tonneau. Au bout de la rue, on voit
arriver la moto que l'on avait déjà vu entrer en ville à la scène
précédente.
MONSIEUR DUBENOÎT (voix off)
Depuis la fondation de Montpaillard, les révolutions se
sont succédées en France...
La moto frôle l'un des hommes qui déchargent le tonneau. L'homme
fait un écart et lâche le tonneau qui dévale la rue légèrement en
pente.
Plan moyen sur un homme qui remontait la rue, et qui est fauché
par le tonneau. L'homme s'étale par terre et le tonneau continue à
rouler.
MONSIEUR DUBENOÎT (voix off)
... les trônes ont croulé, sans jamais troubler la paix de
notre petite cité.
Un passant s'est précipité pour aider l'homme à terre à se
relever. Un boucher à bicyclette débouche d'une ruelle adjacente
et évite de justesse l'homme allongé par terre.
MONTPAILLARD - ATELIER DU TONNELIER - EXTÉRIEUR JOUR
Plan moyen sur Auguste, le tonnelier, en train de travailler en
plein air. Devant lui, plusieurs tonneaux et des cercles de fer.
Derrière lui, on voit les tours d'un bâtiment assez ancien. Les
tours, qui sont visiblement d'origine médiévale, ont été
recouvertes de toits pointus.
MONSIEUR DUBENOÎT (voix off)
C'est pourquoi les regrettables incidents qui, chaque jour,
ridiculisent l'autorité...
Parju entre dans le champ sur la droite. Auguste le regarde en
ricanant devant l'état nettement dégradé de son uniforme.
AUGUSTE
Encore Blaireau, hein ?
PARJU
Oui, mais je l'aurai.
Auguste continue à ricaner.
AUGUSTE
Ouais !
PARJU
Je l'aurai.
AUGUSTE
Ouais !
MONTPAILLARD - RUE AVEC ARCADE - EXTÉRIEUR JOUR
Plan de demi-ensemble d'une rue, qui passe sous une arcade. Devant
l'entrée de l'arcade, deux hommes, l'un assez élégant, et l'autre,
plus âgé, et qui s'appuie sur une canne. Parju passe devant eux,
se dirigeant sous l'arcade. Les deux hommes son pliés de rire, en
voyant l'état de Parju.
MONSIEUR DUBENOÎT (voix off)
... l'autorité respectée par tous...
Parju marche sous l'arcade. Les passants se retournent sur lui.
Les deux hommes, à l'entrée de l'arcade, continuent à rire.
MONTPAILLARD - RESTAURANT - EXTÉRIEUR JOUR
Plan de demi-ensemble de l'extérieur d'un restaurant. Devant un
escalier, le cuisinier et un serveur portant une pile d'assiette
regardent Parju, qui arrive sur la droite du champ, et ils
éclatent de rire. Le cuisinier se tape sur les cuisses. Parju
hausse les épaules et continue son chemin.
MONSIEUR DUBENOÎT (voix off)
... et dont l'éloge n'est plus à faire.
MONTPAILLARD - UNE RUE COMMERÇANTE - EXTÉRIEUR JOUR
Plan moyen, devant un magasin, du juge Lerechigneux, portant un
paquet de gâteaux de pâtissier, et discutant avec un gendarme.
Parju passe dans la rue et se retourne légèrement sur les deux
hommes.
LE JUGE LERECHIGNEUX
Que lui est-il arrivé à ce pauvre Parju ?
Le gendarme regarde Parju s'éloigner, puis se tourne en riant vers
le juge.
LE GENDARME
Encore un coup de Blaireau, monsieur le juge ! Voilà vingt
ans que ça dure.
Le juge hoche la tête et s'éloigne
MONSIEUR DUBENOÎT (voix off)
Ces incidents doivent cesser !
La caméra suit le juge qui marche dans la rue.
MONSIEUR DUBENOÎT (voix off)
Déjà, l'on murmure...
Le juge croise le chemin de Maître Guilloche, avocat, et chef de
l'opposition au conseil municipal, et Monsieur Bluette, le
directeur de la prison. Le juge serre la main de Maître Guilloche.
MONSIEUR DUBENOÎT (voix off)
... la calomnie se montre, s'embusque...
Le juge serre la main de Bluette, qui s'incline légèrement.
MONSIEUR DUBENOÎT (voix off)
... nous guette de son oeil avide.
Le juge termine une conversation, dont nous n'avons pas entendu le
début, masqué par la voix off du maire.
LE JUGE LERECHIGNEUX
... oui, alors, c'est un fait.
Ils marchent tous les trois dans la rue. Guilloche prend le bras
de Bluette.
MAÎTRE GUILLOCHE
Monsieur Bluette, combien de détenus avez-vous en ce moment
dans votre prison ?
MONSIEUR BLUETTE
Une petite douzaine, de braves garçons, très calmes.
Guilloche se tourne vers le juge.
MAÎTRE GUILLOCHE
Calmes !... Même les délinquants sont calmes !
Il s'arrête de marcher, et regarde droit devant lui.
MAÎTRE GUILLOCHE
Cette ville dort, cette ville s'encroûte.
MAIRIE - SALLE DU CONSEIL MUNICIPAL - INTÉRIEUR JOUR
Même plan sur le maire en train de parler debout devant le buste
de Marianne.
MONSIEUR DUBENOÎT
J'aimerais mieux voir ma ville en cendres qu'à la proie du
désordre.
Il s'arrête et sourit.
MONSIEUR DUBENOÎT
C'est très bon, ça...
Il s'assoit pour noter la dernière phrase qu'il vient de dire. La
caméra le suit en panoramique descendant, et on s'aperçoit que la
salle du conseil est vide. Et que donc, il ne parlait pas devant
un auditoire, mais préparait un discours.
Zoom arrière, montrant toute la longue table du conseil. Dubenoît
écrit.
MONSIEUR DUBENOÎT
Depuis Henri IV...
Il s'interrompt et écrit de nouveau. On frappe à la porte.
MONSIEUR DUBENOÎT
Oui !
Plan moyen du maire assis à table en train d'écrire, avec la porte
en arrière-plan. La porte s'ouvre lentement et Parju entre en
faisant un petit salut.
PARJU
Monsieur le maire...
Il referme la porte. Le maire ne lui octroie qu'un coup d'oeil
rapide, et donc ne se rend pas compte de l'état de son uniforme.
MONSIEUR DUBENOÎT
Bonjour, Parju. Quoi de neuf ?
PARJU
Rien, monsieur le maire.
MONSIEUR DUBENOÎT
Parfait. Tâchez que ça continue.
Parju s'appuie des deux mains sur le dossier de la chaise voisine
de celle où le maire est assis.
PARJU
Voilà, monsieur le maire, je voulais vous dire.
MONSIEUR DUBENOÎT
Quoi ?
Dubenoît jette un autre coup d'oeil rapide vers Parju, puis revient
vers les documents sur lesquels il travaille. Mais, à peine s'est-
il penché sur ces documents qu'il sursaute et regarde Parju avec
plus d'attention et s'aperçoit enfin de l'état déplorable de son
uniforme. Il se lève et dévisage Parju, qui affiche un air penaud.
Contrechamp avec Parju en premier plan.
MONSIEUR DUBENOÎT
Ça, c'est du Blaireau tout pur !
Parju tourne la tête de côté pour dire :
PARJU
Oui, monsieur le maire.
Dubenoît se rapproche de Parju.
MONSIEUR DUBENOÎT
Alors, Parju, quand est-ce que vous me le coffrez, ce
pistolet ?
PARJU
Je voudrais bien, monsieur le maire, mais c'est qu'il est
malin comme le diable !
MONSIEUR DUBENOÎT
Ah... Si c'était lui qui fût garde-champêtre, et vous qui
fussiez Blaireau, y a belle lurette qu'il vous aurait
pincé, mon pauvre Parju !
Le maire ricane, et Parju éclate de rire.
PARJU
Ah, pour ça oui, monsieur le maire...
Parju met amicalement la main sur l'épaule du maire, dont le
visage redevient immédiatement très sévère.
MONSIEUR DUBENOÎT
Alors Parju !
Devant le regard autoritaire du maire, Parju se met au garde-à-
vous.
MONSIEUR DUBENOÎT
De l'oeil ! Et du jarret ! Et vive Montpaillard !
Parju porte la main à son képi et salue. Le maire s'éloigne vers
la porte de la salle.
MONSIEUR DUBENOÎT
Repos !
Parju baisse le bras. On entend la porte de la salle qui claque
derrière Parju, et immédiatement Parju se remet au garde-à-vous.
MONTPAILLARD - PLACE DE LA MAIRIE - EXTÉRIEUR JOUR
Plan d'ensemble de la place, avec la mairie au fond de la place.
On accède à l'entrée de la mairie par un escalier et un petit
perron. Des enfants font une ronde devant la mairie. Le maire sort
de la mairie. Deux hommes qui passent le saluent, en soulevant
leurs couvre-chef.
L'UN DES HOMMES
Bonjour, monsieur Dubenoît.
Le maire soulève son chapeau.
MONSIEUR DUBENOÎT
Bonjour.
Il descend les marches du perron. Le boucher passe avec sa
bicyclette, et agite la main.
LE BOUCHER
Bonjour, monsieur le maire...
Dubenoît lui rend son salut et traverse la place.
MONSIEUR DUBENOÎT
Bonjour.
Une femme d'un certain âge croise son chemin et incline légèrement
la tête.
LA FEMME
Bonjour, monsieur...
Le maire soulève son chapeau.
MONSIEUR DUBENOÎT
Bonjour, madame...
Bluette entre dans le champ par la gauche. Le maire tend les bras
vers lui.
MONSIEUR DUBENOÎT
Allons, Bluette, voyons, c'est l'heure du bridge. Les
Chaville nous attendent.
Bluette serre la main du maire, et ils s'éloignent tous les deux
ensemble.
CHATEAU DE CHAVILLE - CAVE - INTÉRIEUR JOUR
Plan rapproché sur un tonneau marqué : « Clos de Chaville ». Une
pipette de contrôle est plongée dans le tonneau. Panoramique et
zoom arrière nous permettant de découvrir le comte Léon de
Chaville, qui sort la pipette du tonneau. Léon de Chaville a tout
à fait l'allure d'un noble à l'ancienne : monocle et noeud
papillon. Il verse la contenu de la pipette dans une petite tasse
métallique de dégustation. Son épouse s'approche de lui et lui
tend sa propre tasse, qu'il remplit. Ils goûtent ensemble le
contenu de leurs tasses.
LÉON DE CHAVILLE
Quarante-sept.
Son épouse sourit :
COMTESSE DE CHAVILLE
Quarante-huit.
Ils goûtent de nouveau. Derrière eux, on aperçoit un employé du
château qui descend les marches menant à la cave. Léon prononce,
sur un ton autoritaire :
LÉON DE CHAVILLE
Quarante-sept.
Son épouse sourit encore plus largement.
COMTESSE DE CHAVILLE
Quarante-huit.
Léon de Chaville se tourne vers la droite.
LÉON DE CHAVILLE
Amédée.
Plan moyen d'Amédée versant, à l'aide d'un entonnoir, le contenu
d'un pichet dans un tonnelet. Les Chaville s'approchent de lui.
LÉON DE CHAVILLE
Amédée, voyons, allons.
Il tend sa tasse à Amédée, qui goûte longuement.
AMÉDÉE
Quarante-quatre.
Les époux Chaville se regardent avec dépit. On entend la cloche de
la grille du château qui sonne. Léon récupère sa tasse.
CHÂTEAU DE CHAVILLE - GRILLE D'ENTRÉE - EXTÉRIEUR JOUR
Plan moyen de la grille d'entrée du château, vue de l'extérieur.
Sur la grille est fixée un panneau, sur lequel est inscrit :
« Clos de Chaville - Montpaillard ». Dubenoît et Bluette attendent
devant la grille. Dubenoît tire le cordon de la cloche.
MONSIEUR DUBENOÎT
Vous vous souvenez de ma botte secrète ?
MONSIEUR BLUETTE
Mais oui.
MONSIEUR DUBENOÎT
Deux trèfles veulent dire : j'ai un carreau.
Bluette compte sur ses doigts. A travers la grille on aperçoit
Léon de Chaville qui s'avance vers eux
MONSIEUR BLUETTE
Oui...
MONSIEUR DUBENOÎT
Et trois coeurs ?
MONSIEUR BLUETTE
Euh... Cinq piques... Cinq.
Ils se tournent vers la grille, car Léon est maintenant tout près
D'EUX
LÉON DE CHAVILLE
Bonjour, monsieur le maire.
On aperçoit madame de Chaville qui arrive derrière son mari
MONSIEUR DUBENOÎT
Ah !... Bonjour, Chaville.
Léon ouvre la grille. On entend des échanges de « Bonjour »,
« Bonjour, madame », mais ils sont interrompus par un bruit de
moto. Le motard casqué, que nous avons déjà croisé dans les rues
de Montpaillard, arrive à grande vitesse, pousse l'autre porte de
la grille et pénètre dans la cour du château. Tout le monde
s'écarte pour le laisser passer. Le motard s'arrête près du
château dans un crissement de pneus.
CHÂTEAU DE CHAVILLE - COUR - EXTÉRIEUR JOUR
Plan moyen sur le groupe des quatre « joueurs de bridge ». Madame
de Chaville sursaute au bruit du crissement de pneus.
COMTESSE DE CHAVILLE
Oh... Oh, mon Dieu !
Plan moyen sur le « motard », qui enlève son casque, et qui est en
fait une jeune fille, Arabella, la fille des Chaville. Elle sourit
et agite la main.
ARABELLA DE CHAVILLE
Bonjour, papa. Bonjour, maman. Bonjour, messieurs.
Elle se retourne et court vers l'entrée du château.
Retour sur le groupe des quatre. Madame de Chaville semble
contrariée.
COMTESSE DE CHAVILLE
Arabella ! Ma petite fille.
Elle se retourne vers ses invités et sourit.
COMTESSE DE CHAVILLE
Venez, monsieur Bluette.
MONSIEUR BLUETTE
Je vous en prie.
Il s'éloigne vers le château à côté de madame de Chaville, les
deux autres hommes suivent derrière, mais Dubenoît retient
Chaville en arrière.
MONSIEUR DUBENOÎT
Dites donc, dites donc...
LÉON DE CHAVILLE
Oui...
MONSIEUR DUBENOÎT
Elle a le diable au corps, votre petite fille. Va falloir
la marier... au trot.
LÉON DE CHAVILLE
Au galop, mon cher ! Au galop !
Ils se mettent en marche pour rattraper les deux autres.
CHÂTEAU DE CHAVILLE - VESTIBULE - INTÉRIEUR JOUR
Plan en enfilade du vestibule, décoré de meubles anciens, de
fleurs et même d'une sculpture représentant un jeune garçon noble
d'époque Henri IV. Arabella traverse le vestibule en sautillant. A
l'extrémité du vestibule, elle croise le chemin d'un domestique en
gilet rayé, portant un plateau avec des boissons, et, dans l'autre
main, un faisan mort. Elle lui subtilise une bouteille
ARABELLA DE CHAVILLE
Et hop !
LE DOMESTIQUE
Oh... ben, mademoiselle !
Arabella escalade, en courant, le grand escalier de pierre.
CHÂTEAU DE CHAVILLE - JARDINS - EXTÉRIEUR JOUR
Plan moyen sur le groupe des joueurs de bridge, qui s'est assis à
une table installée dans une galerie couverte qui entoure le
jardin, à la manière des galeries qui entourent les cloîtres. Léon
est le dernier à s'assoir. Le domestique arrive près d'eux avec
son plateau.
LÉON DE CHAVILLE
Alors, mon cher Dubenoît, hein, quoi de neuf ?
MONSIEUR DUBENOÎT
Oh, mon...
Le domestique tend le faisan à Léon, mais, au passage, les plumes
de la queue du faisan chatouille le visage de Dubenoît.
LE DOMESTIQUE
Le faisan.
Il se tourne vers Dubenoît.
LE DOMESTIQUE
Oh, pardon !
Il écarte le faisan du visage de Dubenoît et se tourne vers sa
maîtresse.
LE DOMESTIQUE
Le faisan, madame, rôti ou à l'orange ?
Dubenoît écarte le faisan d'une main, et pointe l'index de l'autre
main vers madame de Chaville.
MONSIEUR DUBENOÎT
Blaireau... Vous aussi naturellement !
Madame de Chaville se penche vers Dubenoît.
COMTESSE DE CHAVILLE
La chasse est fermée, monsieur le maire.
Léon se tourne vers Bluette.
LÉON DE CHAVILLE
Sans Blaireau, par de gibier.
MONSIEUR BLUETTE
Mais... qu'est-ce que c'est que ce Blaireau ?
MONSIEUR DUBENOÎT
Blaireau ?
Il ricane.
MONSIEUR DUBENOÎT
Oh-oh ! C'est... hein... c'est... enfin... enfin c'est
Blaireau.
MONTPAILLARD - FORÊT - EXTÉRIEUR JOUR
Plan d'ensemble d'une forêt bien verdoyante. Au premier plan,
derrière le tronc d'un arbre, apparaît Blaireau. Il est vêtu d'un
pantalon et d'une veste de toile, et porte un béret sur le crâne.
Ce béret ne le quitte jamais. Il tient une fleur entre ses dents.
Il marche un peu et se cache derrière un autre arbre.
BLAIREAU
Viens ici, Fous-le-camp.
Derrière lui, un petit chien noir et blanc sort de derrière un
arbre. Le chien s'approche de son maître : il tient un lièvre mort
dans sa gueule. Il pose le lièvre par terre. Blaireau se penche
pour le ramasser, se relève, et accroche le lièvre à sa ceinture,
sous sa veste.
Plan moyen de Blaireau descendant une pente dans un sous-bois,
tout en faisant signe au chien de rester calme. Il s'accroupit
près de lui, en mettant un doigt sur ses lèvres pour lui faire
signe d'être silencieux. Il plonge la main sous le taillis devant
lequel il est accroupi et en sort un autre lièvre. On entend un
oiseau chanter. Blaireau lève les yeux.
Gros plan sur un merle noir (?) dans un arbre.
Gros plan sur Blaireau sifflant en réponse au merle. Le merle lui
répond, et Blaireau lui répond de nouveau.
Gros plan sur le merle en train de chanter.
Plan moyen sur Blaireau se relevant avec le lièvre qu'il vient de
ramasser dans son piège. Le merle continue à chanter, et Blaireau
lui répond. Puis Blaireau lui fait un salut militaire en sifflant
une dernière fois, et s'éloigne.
CHÂTEAU DE CHAVILLE - JARDINS - EXTÉRIEUR JOUR
Plan moyen sur les quatre joueurs en pleine partie de bridge.
MONSIEUR BLUETTE
Je vois... je vois... une sorte de bohème rural.
Dubenoît le regarde avec de la colère dans les yeux et lui dit,
sur un ton un peu agressif :
MONSIEUR DUBENOÎT
Un braconnier... et il n'y a pas de place à Montpaillard
pour les hors-la-loi.
CHÂTEAU DE CHAVILLE - COUR - EXTÉRIEUR JOUR
Travelling sur un vélosolex qui traverse la cour...
CHÂTEAU DE CHAVILLE - JARDINS - EXTÉRIEUR JOUR
... puis le jardin. Le passager du solex est Armand Fléchard, le
jeune professeur de piano d'Arabella. Il passe devant la galerie,
où les joueurs continuent leur partie et ralentit.
ARMAND FLÉCHARD
Bonjour, madame la Comtesse.
COMTESSE DE CHAVILLE
Bonjour, monsieur Fléchard. Arabella vous attend chez elle.
ARMAND FLÉCHARD
Je vous remercie, madame la Comtesse.
Il accélère légèrement, et s'arrête à côté de la moto d'Arabella.
Il regarde furtivement autour de lui, sort un papier de sa poche,
l'embrasse, le plie en forme d'avion, et l'envoie vers une fenêtre
du premier étage.
Plan rapproché sur la fenêtre ouverte, par où entre l'avion de
Fléchard.
CHÂTEAU DE CHAVILLE - CHAMBRE D'ARABELLA - INTÉRIEUR JOUR
Plan de demi-ensemble sur le sol de la chambre d'Arabella,
recouvert de fourrures de tigre et de panthère. Arabella, vêtue
d'un chemisier noir, d'un pantalon beige moulant et pieds nus dans
ses collants, une cigarette à la main, est allongée sur le ventre
sur les fourrures et elle lit un roman policier de la « Série
Noire ». A côté d'elle, un électrophone qui diffuse de la musique
de jazz. A côté de l'électrophone, d'autres romans de la « Série
Noire », la bouteille d'alcool, qu'elle a subtilisé sur le plateau
du domestique, un verre, un paquet de cigarettes et un cendrier.
Arabella hoche la tête en rythme avec la musique. L'avion en
papier atterrit à côté d'elle. Elle pose le livre, ramasse l'avion
et le déplie.
Gros plan sur l'avion qui se déplie. On lit le texte écrit en
majuscules sur l'avion, en même temps qu'Arabella le lit.
ARABELLA DE CHAVILLE (voix off)
Qu'est-ce que c'est que ça ? « Un homme vous aime dans
l'ombre ».
Retour sur le plan précédent, et Arabella qui éclate de rire,
assise par terre. On frappe discrètement à la porte. Arabella
tourne la tête vers la porte.
ARABELLA DE CHAVILLE
Oui ?...
Elle cache l'avion sous le roman policier, écrase sa cigarette
dans le cendrier, arrête l'électrophone, et se tourne vers
Fléchard qui vient d'entrer, l'air un peu gauche, avec une petite
sacoche à musique à la main. Il est en costume gris et noeud
papillon.
ARMAND FLÉCHARD
Mademoiselle...
ARABELLA DE CHAVILLE
Tiens, voilà le petit Chopin.
Elle se lève. Fléchard ferme la porte
ARMAND FLÉCHARD
Mademoiselle, je vous ai apporté une fort belle page de
Schumann : « Je suis à toi ».
Il essaie d'ouvrir sa sacoche... avec un peu de difficulté.
ARABELLA DE CHAVILLE
A qui ?
Fléchard lui répond d'une voix un peu niaise.
ARMAND FLÉCHARD
A toi, mademoiselle.
ARABELLA DE CHAVILLE
Et bien, allons-y, mon vieux.
Elle marche lentement vers le piano, sous le regard énamouré de
Fléchard.
Plan rapproché d'Arabella s'asseyant derrière un piano demi-queue,
dont le couvercle est ouvert.
ARMAND FLÉCHARD (voix off)
Travaillons, mademoiselle.
Léger zoom arrière, permettant de découvrir Fléchard, qui
s'approche et dépose sa partition sur le pupitre du piano, et sa
sacoche à côté du pupitre.
ARMAND FLÉCHARD
Les doigts comme des petits marteaux.
Arabella commence à déchiffrer - un peu laborieusement - la pièce
de Schumann.
ARMAND FLÉCHARD
Et un, et deux, et trois, et quatre... Et un, et deux, et
trois, et quatre... Et un... les doigts comme des petits
marteaux.
Arabella, agacée par les conseils de Fléchard, tape violemment sur
une touche aigüe du piano. Le choc fait se refermer le couvercle
du piano... sur la main de Fléchard, qui était appuyée sur le bord
du piano. Fléchard pousse un petit cri. Arabella se lève
brusquement et met la main devant sa bouche
ARABELLA DE CHAVILLE
Oh, pardon !
Fléchard récupère sa main sous le couvercle et Arabella ne peut
étouffer un petit rire derrière sa main. Fléchard a certainement
mal, mais il n'ose rien dire à celle qu'il aime.
CABANE DE BLAIREAU - INTÉRIEUR JOUR
La «demeure» de Blaireau est en fait une cabane assez rustique,
meublée de bric et de broc, et encombrée de tout le nécessaire du
parfait braconnier.
Plan d'ensemble de l'unique pièce au milieu de laquelle trône une
table derrière laquelle Blaireau est assis en train de manger.
Assis sur la table, le petit chien noir et blanc l'observe.
Lucienne, une pie apprivoisée, est posée sur l'épaule de Blaireau.
Blaireau se sert un verre de vin.
Plan moyen sur la table, sur laquelle sont posés, en plus de la
bouteille de vin, un pâté dans une assiette, un camembert et une
miche de pain entamée. Blaireau prend un morceau de pâté qu'il
donne à son chien.
BLAIREAU
Un petit bout pour Fous-le-camp.
Le chien mange ce que lui donne son maître. Blaireau tend son
verre de vin à la pie.
BLAIREAU
Un petit coup pour Lucienne... Tiens...
La pie trempe son bec dans le verre. Avec sa bouche, Blaireau
incite la pie à boire.
BLAIREAU
Bon, et puis un petit coup pour Blaireau, hein !
Blaireau boit un coup, et pose son verre sur la table.
BLAIREAU
Bon, ben, quand faut y aller, faut y aller.
Il se tourne vers la pie.
BLAIREAU
Hein, Lucienne ?
Il se lève, la pie toujours perchée sur son épaule.
BLAIREAU
Allez...
Il se dirige vers un coin de la pièce, où des pièces de gibier
sont suspendues à une longue corde. Il prend la corde et se
l'attache autour du ventre.
LUCIENNE
T'est beau, Blaireau.
Blaireau fait une petite mimique en imitant la voix nasillarde de
la pie. Puis il se dirige vers une trappe dans le plancher. Il se
penche et soulève la trappe.
BLAIREAU
Ah !
La pie saute de son épaule et va se percher sur un meuble. Le
chien est resté assis sur la table et regarde son maître. De la
trappe, Blaireau sort deux faisans attachés chacun à l'extrémité
d'un petite corde. Il met la corde sur son épaule. Un faisan lui
pend dans le dos, et un autre sur le ventre. Il prend un autre
couple de faisans et le met sur son autre épaule. Il referme la
trappe et se relève.
BLAIREAU
Et voilà, et voilà, et voilà.
LUCIENNE (voix off)
T'es beau, Blaireau.
Blaireau enfile sa veste et se tourne vers la pie.
BLAIREAU
Oui, bon ben ça va, tu l'as déjà dit.
Gros plan sur la pie, qui frétille du croupion.
LUCIENNE
Très beau, Blaireau.
Retour sur Blaireau qui sourit à la pie en terminant de boutonner
sa veste. Il se penche et s'aperçoit que les queues des faisans
dépassent de sa veste.
BLAIREAU
Ah... ah-ah-ah, merci.
Il prend une paire de ciseaux sur le meuble à côté de lui, et
coupe les queues des faisans, qui dépassent du devant de sa veste.
LUCIENNE (voix off)
Très beau, Blaireau.
Blaireau repose les ciseaux, sans s'apercevoir que d'autres queues
dépassent du dos de sa veste. Il fait une mimique en direction de
la pie.
BLAIREAU
Ah ! Bon...
Il ramasse une casserole par terre et va la remplir avec l'eau
contenue dans une cuvette posée sur le poêle.
Gros plan sur la pie.
LUCIENNE
Il est beau, Blaireau.
Retour sur Blaireau, qui s'est penché pour ramasser quelque chose.
Le chien, toujours assis sur la table, couine en voyant les queues
de faisan dépasser de la veste de son maître. Il aboie un petit
coup. Blaireau se tourne vers lui.
BLAIREAU
Oui, ben, mon vieux, ça va, ça va.
Il se relève, un pot à lait à la main.
LUCIENNE (voix off)
Il est beau, Blaireau.
Blaireau verse le contenu du pot à lait dans la cuvette.
BLAIREAU
Oui, ben je commence à le savoir.
Il emporte la cuvette vers la porte de la pièce.
Gros plan sur la pie.
LUCIENNE
Il est beau, Blaireau !
Retour sur Blaireau, qui s'énerve un peu. Il pose sa cuvette sur
la table.
BLAIREAU
Oui, bon, mais qu'est-ce qu'il y a ? Quoi ?...
Il se penche et aperçoit les queues de faisans qui dépassent du
dos de sa veste.
BLAIREAU
Ah !...
Il les attrape et tire dessus d'un coup sec. Il rit et reprend sa
cuvette.
BLAIREAU
Merci, Lucienne.
CABANE DE BLAIREAU - EXTÉRIEUR JOUR
La cabane est aussi rustique à l'extérieur qu'à l'intérieur. La
porte est faite d'un cadre de bois empli de fagots avec une
poignée rudimentaire. Des outils divers sont éparpillés autour de
la cabane.
Plan de demi-ensemble de Blaireau sortant de la cabane avec sa
cuvette tenue à deux mains.
BLAIREAU
Parju !... Parju !...
Il pose la cuvette par terre devant la cabane.
BLAIREAU
Parju !... viens ici, Parju ! Allez... Parju !
Plan rapproché de l'entrée de la porcherie. Un cochon sort de la
porcherie en grognant et se dirige vers Blaireau.
BLAIREAU (voix off)
Viens ici !
Retour sur Blaireau accroupi près de sa cuvette. Le cochon
s'approche de lui et commence à manger ce qu'il y a dans la
cuvette. Blaireau chuchote gentiment :
BLAIREAU
Parju... Parju... Parju...
Sur un ton plus normal :
BLAIREAU
Allez, bon appétit, Parju !
Plan rapproché sur Parju (le garde-champêtre, pas le cochon !)
caché dans les broussailles près de la cabane de Blaireau.
BLAIREAU (voix off)
Hein ! Ça, c'est un cochon de Parju, ça, hein ? C'est le
roi des petits cochons !
Parju fait une drôle de tête en entendant son nom donné à un
cochon.
Retour sur Blaireau et le cochon.
BLAIREAU
C'est bien gras, ça, madame !
On voit une tache lumineuse qui se promène sur le visage de
Blaireau.
Gros plan sur le visage de Blaireau. La tache lumineuse lui
atteint l'oeil et Blaireau cligne des yeux. Il tourne la tête.
Plan d'ensemble du sous-bois autour de la cabane. Dans les
broussailles, on voit scintiller la plaque de fonction que Parju
porte sur son baudrier.
BLAIREAU (voix off)
Aïe-Aïe-Aïe !
Gros plan sur la plaque scintillante de Parju. Dessus sont gravés
les insignes de sa fonction. Panoramique ascendant vers le visage
de Parju qui observe Blaireau.
Retour sur Blaireau et le cochon, qui continue à manger. Blaireau
se tourne vers la porte entrouverte, et met sa main en écran
devant sa bouche. Ce qui fait que l'on n'entend pas ce qu'il
chuchote. Mais on l'entend siffler une courte ritournelle. Le
chien lui répond en aboyant deux fois, et sort de la cabane. Il
s'approche de son maître.
BLAIREAU
Viens ici, viens, viens ici. Viens là, viens là, viens,
viens là.
Il prend le chien dans ses bras.
BLAIREAU
Écoute-écoute-écoute...
Il chuchote à l'oreille du chien. On ne comprend que quelques mots
par ci, par là. Entre autres, le mot « Parju » à trois reprises,
puis les mots « par ici », ponctués d'une indication du doigt, et
juste ensuite, les mots « par là », ponctués d'un signe pointant
la direction inverse. Il embrasse son chien sur le museau et le
repose par terre. Et tous deux s'éloignent, laissant le cochon
finir de manger.
Plan de demi-ensemble du buisson derrière lequel Parju est caché.
On voit Parju qui s'accroupit dans le buisson pour ne pas être vu
de Blaireau qui s'approche, et qui passe devant le buisson sans
paraître le voir. Blaireau s'arrête juste devant le buisson, dans
lequel on aperçoit Parju qui se relève puis qui s'accroupit de
nouveau. Mais Blaireau ne semble toujours pas voir Parju, et se
retourne en tapant sur sa jambe.
BLAIREAU
Viens ici, Fous-le-camp ! Viens ici, mon Fous-le-camp !
Le chien s'approche de lui en trottinant.
BLAIREAU
Viens ici, le tout petit toutou ! Allez-allez !
Blaireau s'éloigne avec le chien.
BLAIREAU
Allez-allez-allez ! Allez-allez !
Il s'éloigne dans la forêt avec le chien. Parju sort de sa
cachette et les suit d'une manière qu'il pense être très discrète.
MONTPAILLARD - FORÊT - EXTÉRIEUR JOUR
Plan d'ensemble de Blaireau marchant sur un chemin, suivi de son
chien. Alors qu'ils s'approchent d'un gros arbre, le chien se
retourne et se met à aboyer.
Plan rapproché de Parju qui se cache derrière un arbre. On entend
le chien qui continue à aboyer. Le chien cesse d'aboyer et Parju
passe lentement la tête hors de sa cachette. Il écarquille les
yeux.
Retour sur le plan précédent. Le gros arbre est toujours là, le
chien aussi, mais on ne voit plus Blaireau. Le chien ne semble pas
s'en inquiéter et s'enfonce en trottinant dans le sous-bois. Parju
apparaît, trottinant lui aussi dans la direction que le chien a
prise. Il se cache derrière l'arbre, puis passe la tête pour
regarder dans la direction du chien, d'un côté, puis de l'autre
côté de l'arbre. L'arbre est recouvert d'une épaisse couche de
lierre, masquant le fait que l'arbre est creux.
Plan rapproché de l'arbre. Alors que Parju regarde dans l'autre
direction, on voit, à travers le lierre, apparaître la tête de
Blaireau, caché dans le creux de l'arbre. On entend le chien qui
aboie. Parju tourne la tête, et Blaireau se recache dans le creux
de l'arbre.
Léger zoom arrière. Parju tourne autour de l'arbre. Blaireau sort
du creux de l'arbre, et se cache derrière l'arbre, pour ne pas
être vu de Parju. Parju tourne autour de l'arbre et Blaireau
tourne aussi, pour rester caché au regard de Parju. Puis Blaireau
retourne se cacher dans le creux de l'arbre. On entend le chien
aboyer. Le chien passe en trottinant devant l'arbre. Parju court
derrière le chien. Blaireau sort de sa cachette, et vient se
planter sur le chemin, les mains sur les hanches. Il regarde Parju
s'éloigner derrière le chien. Il fait un grand salut de la main,
puis des deux mains. Puis il se croise les mains dans le dos, et
part dans la direction opposée de celle que le chien a prise. On
entend les aboiements du chien qui s'éloigne, alors que Blaireau,
lui aussi, s'éloigne sur le chemin... mais dans la direction
opposée !
Plan de demi-ensemble d'un arbre, autour duquel tourne le chien.
Parju arrive en courant et tourne, lui aussi, autour de l'arbre.
Après avoir fait un tour complet, il se plante, les mains sur les
hanches, et inspecte la forêt, mais il ne voit plus le chien, qui
est derrière l'arbre. Le chien aboie. Parju se retourne, et court
après le chien qui s'éloigne en trottinant.
MONTPAILLARD - ENTRÉE DE LA VILLE - EXTÉRIEUR JOUR
Plan rapproché de Blaireau qui se faufile, avec circonspection,
dans une petite ouverture ménagée dans un mur. La caméra suit
Blaireau, et on découvre le panorama de Montpaillard, que nous
avions déjà vu au début du film. Blaireau regarde autour de lui,
ajuste le gibier caché sous sa veste, et s'éloigne vers le centre
ville.
MONTPAILLARD - FORÊT - EXTÉRIEUR JOUR
Plan rapproché du chien assis au pied d'un arbre. Il se lève et
s'éloigne en trottinant. On voit s'approcher les bottes de Parju.
Panoramique ascendant sur le visage de Parju. Parju s'appuie d'une
main sur l'arbre, enlève son képi et s'essuie le visage. On voit
le chien qui passe derrière lui en aboyant. Parju remet son képi,
se retourne et court après le chien.
MONTPAILLARD - UNE RUE - EXTÉRIEUR JOUR
Plan en enfilade d'une rue déserte, avec le seul Blaireau au
milieu de la rue. Néanmoins, Blaireau inspecte les alentours. Un
panier descend du premier étage au bout d'une corde. Blaireau fait
un petit signe discret et le panier s'arrête. Blaireau inspecte
encore une fois la rue, puis sort de sous sa veste, deux pièces de
gibier, qu'il met dans le panier. Il fait signe au propriétaire de
remonter le panier, puis sort un papier de sa poche. Le panier
remonte et Blaireau se met en marche dans la rue, venant vers la
caméra.
Travelling arrière pour suivre la marche de Blaireau. Le dos d'un
gendarme entre dans le champ et croise la route de Blaireau. Le
gendarme s'arrête et regarde Blaireau. Celui-ci s'appuie sur un
mur et prend un air faussement innocent, en affichant un sourire
un peu niais. Le gendarme reprend sa marche, Blaireau la sienne,
mais le gendarme s'arrête et se tourne vers Blaireau, qui s'arrête
aussi et regarde le gendarme.
Blaireau s'approche d'une porte sur laquelle est accroché un pot à
lait. Blaireau sort une petite pièce de gibier de sa poche et la
met dans le pot. Puis il tire le cordon de la cloche d'appel,
entr'ouvre la boîte à lettre encastrée dans la porte et approche
sa bouche de l'ouverture.
BLAIREAU
C'est Blaireau !
MONTPAILLARD - CHAMPS DE VIGNE - EXTÉRIEUR JOUR
Plan d'ensemble d'un champ de vigne. Parju circule entre deux
rangs de vigne, cherchant visiblement quelque chose. Panoramique
descendant sur l'entrée du champ et sur une bassine posée près des
pieds de vigne. Le chien est caché dans la bassine. Il saute hors
de la bassine et part en courant et en aboyant. Panoramique
vertical sur le champ et Parju courant entre deux rangs de vigne
dans la direction du chien.
MONTPAILLARD - RESTAURANT - EXTÉRIEUR JOUR
Plan rapproché sur la fenêtre des cuisines. A travers le carreau,
on voit Blaireau qui donne deux lièvres au cuisinier, qui sourit
et pose les lièvres derrière lui. Puis Blaireau ouvre sa veste et
décroche deux faisans, qu'il donne aussi au cuisinier. Blaireau
dit quelque chose, que nous n'entendons pas, au cuisinier, puis
fait un signe et sort de la cuisine. Le cuisinier le salue en
levant un faisan vers lui.
Fondu enchaîné.
MONTPAILLARD - CAFÉ - INTÉRIEUR JOUR
Un bistro typique de province. Plan rapproché sur Blaireau, debout
devant le comptoir. Derrière lui, deux hommes jouent au billard.
On voit la main du patron qui sert un verre de vin à Blaireau,
qui, d'un geste, l'arrête lorsqu'il juge le verre assez plein.
BLAIREAU
Hop !
Il prend son verre et commence à boire lentement. Puis son regard
se porte sur quelque chose que nous ne voyons pas.
BLAIREAU
Oh !... Ben te voilà, toi !
Il ricane.
Gros plan sur son chien, qui vient d'entrer dans le café, et qui
se couche à côté de la porte, visiblement fatigué par sa course
avec Parju.
BLAIREAU (voix off)
Toujours en train de courir les filles, hein ?
Derrière le chien, on aperçoit les bottes de Parju
BLAIREAU (voix off)
Oh, Parju !
En sentant la présence du garde derrière lui, le chien se relève
en grognant.
BLAIREAU (voix off)
Mais laisse-le passer, voyons.
Panoramique ascendant sur Parju. Il remet son képi, qu'il tenait à
la main. Il a le visage en sueur, et il est visiblement épuisé par
sa course dans la forêt. Il hoche la tête
PARJU
Ouais.
Retour sur Blaireau en train de boire son verre de vin en
ricanant. On voit Parju qui entre dans le champ, et s'approche de
Blaireau.
BLAIREAU
Je ne sais pas ce qu'il a en ce moment. Je ne peux plus le
tenir.
On voit la main du patron qui tend à Parju un verre de bière bien
mousseuse. Parju prend le verre et se rapproche un peu plus de
Blaireau.
PARJU
Je t'aurai, Blaireau.
Blaireau pointe du doigt la mousse qui déborde du verre de Parju.
BLAIREAU
Oh !... Regarde, une petite mouche...
Il souffle sur le verre, envoyant la mousse sur la figure de
Parju.
BLAIREAU
Oh, pardon !
Il contourne Parju pour sortir du café. De la main, Parju essuie
la mousse qu'il a sur le visage, et s'accoude, l'air dégoûté, sur
le comptoir.
MONTPAILLARD - UNE RUE - EXTÉRIEUR JOUR
Plan de demi-ensemble de Blaireau marchant dans une rue. On entend
du piano. Blaireau s'arrête de marcher et regarde autour de lui.
Il siffle la petite ritournelle et son chien lui répond de deux
aboiements. Blaireau reprend sa marche, suivi par son chien.
LOGEMENT FLÉCHARD - SALON - INTÉRIEUR JOUR
Gros plan sur une partition posée sur le pupitre d'un piano droit.
En haut de la partition, est inscrit « Arabella », et en-dessous,
comme indication de tempo, est inscrit « Avec Passion ». Zoom
arrière, nous permettant de découvrir Armand Fléchard en train de
jouer. Une tasse à café et un sandwich baguette sont posés sur le
couvercle rabattu du clavier du piano. Fléchard arrête de jouer et
soupire. Il fouille dans la poche intérieure de sa veste, et sort
un papier, qu'il déplie pour le lire.
ARMAND FLÉCHARD
« L'amour me dévore. Trois fois par semaine, je souffre un
peu moins »...
Il replie le papier
ARMAND FLÉCHARD
Ben, c'est idiot...
Il froisse le papier et le jette par terre. Il ramasse le sandwich
sur le piano, et dit, d'une voix tendre :
ARMAND FLÉCHARD
Arabella, mon amour.
Puis il mord dans son sandwich.
CHÂTEAU DE CHAVILLE - SALLE À MANGER - INTÉRIEUR JOUR
Plan rapproché sur Arabella assise à table. Un zoom arrière permet
de découvrir ses parents assis de part et d'autre d'Arabella
devant une table richement dressée et sur laquelle brûlent même
des bougies dans des chandeliers.
ARABELLA DE CHAVILLE
Des nouilles, tous les jeunes gens du pays sont des
nouilles.
LÉON DE CHAVILLE
Tu... tu as refusé le petit Colibert ?
ARABELLA DE CHAVILLE
Une nouille !
COMTESSE DE CHAVILLE
Et le fils des Rissol, qui sort de Polytechnique ?
ARABELLA DE CHAVILLE
Une nouille.
LÉON DE CHAVILLE
Bernard de Montripier, un garçon...
ARABELLA DE CHAVILLE
Lui ! Un plat de nouilles !
LE COMTE & LA COMTESSE DE CHAVILLE (ensemble)
Oh !...
MAIRIE - SALLE DU CONSEIL MUNICIPAL - INTÉRIEUR JOUR
Plan moyen sur Maître Guilloche, assis à la table du conseil,
entre deux autres conseillers. Il se lève et frappe de la main sur
la table.
MAÎTRE GUILLOCHE
Montpaillard manque d'hommes.
Contrechamp sur le maire, assis en face de lui, entre deux autres
conseillers. Lui aussi frappe de la main sur la table et se lève.
MONSIEUR DUBENOÎT
C'est pour moi que vous dites ça ?
Plan de la salle en enfilade. Un vieux conseiller est assis sous
le buste de Marianne. Guilloche et le maire, qui sont les seuls à
être debout, se font face.
MAÎTRE GUILLOCHE
C'est pour tout le conseil municipal.
MONSIEUR DUBENOÎT
Ah, nous savons, Maître Guilloche, c'est le genre d'opinion
qui s'étale dans votre feuille de chou, l'Éveil de
Montpaillard.
Il montre brièvement un exemplaire de l'Éveil de Montpaillard,
posé sur son buvard.
MAÎTRE GUILLOCHE
L'Éveil de Montpaillard est l'organe de ceux qui ne veulent
plus que leur ville dorme.
Zoom avant sur les deux protagonistes.
MONSIEUR DUBENOÎT
C'est surtout l'organe d'un un jeune ambitieux qui veut
faire parler de lui.
MAÎTRE GUILLOCHE
Mieux vaut l'ambition que l'incapacité.
MONSIEUR DUBENOÎT
Il ne suffit pas de salir, monsieur, il faut préciser.
MAÎTRE GUILLOCHE
Je précise, monsieur.
MONSIEUR DUBENOÎT
Je vous écoute, monsieur.
Le zoom s'arrête en plan américain sur les deux hommes, dont les
visages sont très proches l'un de l'autre
MAÎTRE GUILLOCHE
Un mot suffira, monsieur.
MONSIEUR DUBENOÎT
Dites-le monsieur.
Guilloche se rapproche encore plus du maire.
MAÎTRE GUILLOCHE
Blaireau !
Le maire toussote et détourne la tête
MONSIEUR DUBENOÎT
B-b-Blaireau ?
MAÎTRE GUILLOCHE
Parfaitement, monsieur.
Les deux hommes parlent en même temps, le maire tournant la tête
de droite et de gauche. Ce qui fait que l'on ne comprend pas tout
ce qu'ils disent
MAÎTRE GUILLOCHE (parlant en même temps que le maire)
Depuis vingt ans, Blaireau ridiculise... (mots
incompréhensibles)... la municipalité
MONSIEUR DUBENOÎT (parlant en même temps que Guilloche)
Blaireau... (mots incompréhensibles)... Tout rentrera dans
L'ORDRE
MONSIEUR DUBENOÎT
Mais Blaireau se soumettra où il sera brisé.
Plan plus large de Guilloche, la caméra étant placé derrière
Dubenoît.
MAÎTRE GUILLOCHE
En attendant, messieurs, pendant que vous ronflerez sur vos
courtepointes de satin, ce dévastateur de nos bois...
Dubenoît s'assoit.
MAÎTRE GUILLOCHE
... et de nos rivières accumulera ses délits impunis.
FONDU ENCHAÎNÉ
MONTPAILLARD - UNE RIVIÈRE - EXTÉRIEUR JOUR
Plan d'ensemble d'une rivière avec une petite cascade
artificielle. Derrière la cascade, Blaireau, torse nu, en caleçon
blanc, mais toujours le béret sur la tête, attrape un poisson à la
main. Il assomme le poisson, et le dépose dans un panier à
poissons accroché derrière son dos. Puis il se secoue les mains et
écarte délicatement l'eau de ses deux mains.
Plan moyen de Blaireau en train de pêcher. Il continue à écarter
délicatement l'eau avec ses mains. Puis il met ses mains en
visière au-dessus de ses yeux pour observer ce qu'il se passe sous
l'eau. Ensuite, il plonge doucement une main dans l'eau, fouille
un petit peu, et sort un autre poisson, qu'il assomme et dépose
dans le panier accroché derrière son dos. Il va pour recommencer
l'opération, mais avant, il regarde rapidement autour de lui.
Plan de demi-ensemble du bord de la rivière. Parju, les mains dans
les poches, marche le long des roseaux. Il s'arrête et regarde
droit devant lui.
Retour sur Blaireau en train de pêcher. Il vient de plonger la
main dans l'eau, et tire un autre poisson de la rivière. Il a un
peu de difficulté à le maîtriser, mais finit par le sortir de
l'eau et à l'assommer.
Retour sur Parju au bord des roseaux. Il retire les mains de ses
poches, et s'approche, à pas mesurés, du bord de la rivière. Il
s'arrête derrière un petit arbuste pour observer Blaireau. Il
sourit en se frottant les mains.
Contrechamp sur Parju accroupi qui continue sa progression, caché
par les roseaux. Il s'assoit par terre, et enlève ses bottes et
son baudrier. Mais en posant son baudrier par terre, sa plaque
heurte une pierre.
Retour sur Blaireau en train de pêcher. Il a les deux mains dans
l'eau, mais il lève la tête en entendant le bruit métallique de la
plaque.
BLAIREAU
Oh !
Il s'éloigne.
Plan de demi-ensemble de la rivière, vu du milieu de la rivière.
Parju écarte les roseaux, et pénètre dans l'eau. Il fait deux pas,
et regarde autour de lui, surpris de ne plus voir Blaireau. Il
avance vers le milieu de la rivière. Il met les mains sur ses
hanches et regarde autour de lui.
Plan en légère contre-plongée du barrage avec Parju qui marche au-
dessus et le long du barrage. Derrière Parju, la tête de Blaireau
sort de l'eau.
BLAIREAU
Parju !
Parju tourne la tête, mais Blaireau a déjà replongé sous l'eau.
LA RIVIÈRE - VUE SOUS-MARINE - EXTÉRIEUR JOUR
Plan rapproché de Blaireeau sous l'eau. Il se tient des deux mains
à une grosse pierre. D'une main, il pianote sur la pierre, en
faisant des bulles comme un poisson. Il se gratte l'oreille, puis
recommence à pianoter sur la pierre.
MONTPAILLARD - UNE RIVIÈRE - EXTÉRIEUR JOUR
Même plan du barrage. Parju marche le long du barrage en sens
inverse. Blaireau apparaît derrière lui.
BLAIREAU
Coucou, Parju !
Blaireau replonge sous l'eau. Parju se retourne lentement.
LA RIVIÈRE - VUE SOUS-MARINE - EXTÉRIEUR JOUR
Plan plus large de Blaireau accroupi au fond de l'eau près de la
pierre. On voit les pieds nus de Parju qui s'approchent de lui.
Lorsqu'ils sont à sa portée, Blaireau saisit l'un des gros orteils
de Parju et le tord violemment. Parju s'éloigne en sautillant.
PARJU (voix off)
Ouille ! Ouille ! Ouille-ouille-ouille !
MONTPAILLARD - UNE RIVIÈRE - EXTÉRIEUR JOUR
Même plan du barrage. Parju sautille dans l'eau.
PARJU
Une couleuvre !
Parju saute par-dessus le barrage, mais il rate son coup et
s'écroule dans la rivière
PARJU
Aïe !
Blaireau ré-apparait à la surface de l'eau.
BLAIREAU
Ah-ah-ah !
Il rit en faisant des grands gestes de bras, pendant que Parju
s'en va, emporté par le courant.
FONDU ENCHAÎNÉ
MONTPAILLARD - PLACE DU MARCHÉ - EXTÉRIEUR JOUR
Plan général en légère plongée de la place du marché. Ambiance
typique d'un marché de province un jour de beau temps. Les cris
des marchands montent de la place.
VOIX DIVERSES
A la fraîche, à la fraîche, à la fraîche, à la fraîche !...
Mes faux-filets !... Allons, mesdames...
Plan de demi-ensemble d'un groupe de marchandes, alignées devant
leurs cageots, et assises sur une rangée de bancs, prévus pour
elles par la ville. Ce sont certainement des paysannes de la
région venues vendre leurs produits sur le marché. Travelling le
long de la rangée de marchandes.
BLAIREAU (voix off)
Champipi... champipi... champignons !... Qui qu'en veut,
des champipi... Venez voir mes champipi, mesdames, venez
voir.
Le travelling se termine sur la fin de la rangée, où Blaireau est
assis devant un grand panier de champignons.
BLAIREAU
J'ai de la belle girolle ! Qui qu'en veut ?... Qui qu'en
veut, des champipi ?... Des champipi, des champignons !
Une femme d'un certain âge, assez élégante, et portant un petit
panier, s'approche de Blaireau.
BLAIREAU
Ah ! Bonjour madame Baquet. Je vous en mets combien ?
Plan plus rapproché sur Blaireau et sa cliente.
MADAME BAQUET
Comme d'habitude.
BLAIREAU
Bon.
La caméra suit les mains de Blaireau, qui plongent dans le panier.
Puis zoom avant sur le panier, et surtout, l'autre panier, caché
par le premier, et situé sous le banc où est assis Blaireau. Cet
autre panier est un double panier à poissons. Blaireau ouvre les
deux couvercles, et sort des paniers deux beaux poissons, protégés
par des herbes humides. Il les pose dans le panier de la cliente
et les recouvre de champignons.
BLAIREAU
Et voilà.
La cliente dépose de l'argent dans la main de Blaireau.
BLAIREAU
Merci.
La caméra remonte vers le visage de Blaireau.
BLAIREAU
Qui qu'en veut ? Qui qu'en veut, des champipi, des
champignons ! Voyez mes girolles, mesdames, voyez mes
girolles. Qui qu'en veut, des champipi, des champipi, des
champignons ?
Plan moyen sur Parju qui circule dans les allées du marché. Il
s'arrête en reconnaissant la voix de Blaireau.
BLAIREAU (voix off)
Des champipi, des champignons. Qui qu'en veut ? Qui qu'en
veut ?
Parju observe Blaireau, caché par un auvent de marchand.
Retour sur un plan moyen de Blaireau devant son panier de
champignons.
BLAIREAU
Voyez mes champipi, mes champignons ! Qui qu'en veut ? Qui
qu'en veut ? Qui qu'en veut ?...
Blaireau voit Parju, et lui fait un grand sourire faussement
innocent en croisant les mains.
BLAIREAU
Voyez ma belle girolle, madame. Qui qu'en veut ? Qui qu'en
veut ?
Il tend un champignon à Parju qui se retourne en haussant les
épaules.
BLAIREAU
Qui qu'en veut, qui qu'en veut ?
Il fait signe à une cliente de s'approcher. Tout en continuant à
sortir son boniment, il sert des poissons à la cliente. En premier
plan, Parju, tournant le dos à Blaireau se frotte la joue, l'air
pensif.
BLAIREAU
Qui qu'en veut ? Qui qu'en veut ? Voyez mes champipi. Voyez
mes champipi... Voilà un champignon.
Et il met un poisson dans le panier de la cliente, qui s'éloigne
rapidement. Parju se retourne, mais trop tard !
BLAIREAU
Qui qu'en veut, qui qu'en veut ?
Blaireau marmonne des phrases un peu incompréhensibles, où l'on
reconnaît à peine le mot « champignon ». Parju lui tourne autour
en s'étirant, puis fait mine de s'intéresser à l'étalage voisin de
Blaireau. Une autre cliente s'approche de Blaireau, qui plonge les
mains dans son panier à poissons.
BLAIREAU
Voilà un champipi, voilà un autre champignon.
Parju se retourne, mais encore trop tard. La cliente s'éloigne
rapidement.
BLAIREAU
Qui qu'en veut ?... Qui qu'en veut de la bonne girolle ?
Qui qu'en veut, qui qu'en veut ? Qui veut de la belle
girolle ? Ah, voyez ma belle girolle, mesdames...
Parju s'éloigne de Blaireau.
BLAIREAU
Qui qu'en veut ? Qui qu'en veut ?
Parju se retourne au moment où arrive une autre cliente. Il s'agit
de Léontine, la bonne du maire. Léontine et Blaireau font, tous
les deux, un large sourire à Parju et s'inclinent pour le saluer.
Parju porte la main à son képi, puis se retourne.
BLAIREAU
Qui qu'en veut ? Qui qu'en veut ? Voilà...
Léontine se penche vers le panier de champignons, mais Blaireau
lui donne une tape sur la main. Parju s'éloigne et sort du champ.
Léontine chuchote à l'oreille de Blaireau.
BLAIREAU
Mes champipi, mes champipi, mes champignons.
Blaireau hoche la tête.
BLAIREAU
Oui-oui...
Plan moyen sur une boutique de vêtements pour femme. Trois robes
son alignées. Deux des robes sont installées sur des photos
découpées de femmes grandeur nature, et montées sur carton rigide.
Seule la robe centrale est sur un cintre normal. La tête de Parju
apparaît au-dessus de cette robe.
Contrechamp sur Blaireau qui dépose des poissons dans le panier de
Léontine.
BLAIREAU
Et deux, trois, quatre.
Retour sur Parju qui observe la scène avec un grand sourire.
Retour sur Blaireau, qui continue à mettre des poissons dans le
panier de Léontine.
BLAIREAU
Boum !... Et boum !
Il lève les yeux vers Parju.
BLAIREAU
Ah !...
Retour sur Parju, qui hoche la tête, toujours caché derrière la
robe.
Retour sur Blaireau, qui mets des champignons dans le panier de
Léontine, et lui fait signe de s'éloigner.
BLAIREAU
Les champipi, les champipi...
Retour sur Parju qui sort de la boutique de vêtements. On entend
Blaireau siffler la ritournelle dont il se sert pour appeler son
chien, qui lui répond par ses deux aboiements habituels. Parju
marche à travers le marché avec un grand sourire et en astiquant
sa plaque. Il remonte la rangée de marchandes vers Blaireau.
BLAIREAU (voix off)
Voyez mes champignons, mesdames, voyez mes champipi.
Parju s'arrête devant Blaireau.
BLAIREAU
Tu veux des champignons, Parju ?
PARJU
Des champignons... z'aquatiques ?
Parju se penche vers le panier de champignon. Blaireau se tourne
vers sa voisine avec une expression d'incompréhension. Parju pose
son képi par terre. Des badauds commencent à se rassembler
derrière Blaireau. Parju écarte les jambes de Blaireau, qui se
laisse faire. Il se faufile entre les jambes de Blaireau.
Gros plan sur les deux paniers posés derrière Blaireau, et entre
lesquels on voit apparaître la tête de Parju. Il pousse les deux
paniers hors de son chemin, et regarde autour de lui.
Retour sur Blaireau, qui tapote sur le dos de Parju, toujours
accroupi entre ses jambes. Parju se redresse.
BLAIREAU
T'as perdu quelque chose, Parju ?
Parju saisit Blaireau par le col et se relève en le soulevant.
PARJU
Où sont les truites ?
Plan de demi-ensemble du groupe de badauds, maintenant
relativement nombreux, et qui se sont rassemblés autour de
Blaireau et Parju.
BLAIREAU
Les truites ?...
Parju renverse le panier de champignons de Blaireau, puis il
récupère son képi, qu'il remet sur sa tête. Il reprend Blaireau
par le col et crie :
PARJU
Les truites !
BLAIREAU
Mais... mais la pêche est fermée, monsieur le garde-
champêtre.
Parju repousse Blaireau qui retombe assis sur le banc. Puis il
fouille dans le panier de la voisine de Blaireau, et envoie
promener en l'air tous les légumes qu'il contenait. Blaireau se
relève.
BLAIREAU
Si tu veux des truites, il faut que tu ailles les...
Il fait signe de tourner le moulin d'une canne à pêche. Parju
continue à vider les paniers de toutes les marchandes de la rangée
à côté de Blaireau. On entend les cris de protestation des
marchandes. Parju ramasse une poule, la met dans les bras de
Blaireau, et s'éloigne d'un pas décidé.
Plan moyen sur l'étalage du tripier. Parju écarte les clientes, et
se penche pour regarder sous l'étalage. Ne voyant rien, il fait le
tour de l'étalage. Il se penche et se faufile sous l'étalage,
qu'il fait basculer.
Plan plus éloigné, montrant l'étalage qui bascule et toute la
marchandise qui tombe à terre.
Plan moyen sur Blaireau, qui a toujours la poule dans les bras.
Une cliente s'approche de lui. Blaireau se penche vers elle.
BLAIREAU
Et on appelle ça les représentants de l'ordre, madame !
Plan moyen sur l'étalage du tripier. Parju se redresse, sous l'oeil
assez mécontent du tripier. Il montre Blaireau du doigt et crie :
PARJU
Je t'aurai, Blaireau !
Il enjambe l'étalage brisé et s'éloigne
Retour sur Blaireau qui lève la poule en l'air, en imitant son
cri. Puis il rend la poule à sa propriétaire. Autour d'eux, tous
les badauds sont hilares. Blaireau se penche et ramasse ses
champignons, qu'il remet dans son panier, tout en chantonnant.
BLAIREAU
La-la-la, la-la, la-la...
Il repose son panier par terre, puis il se rassoit sur le banc. Il
regarde autour de lui, et met sa main en porte-voix. Il siffle la
ritournelle d'appel de son chien, qui lui répond de deux
aboiements.
Gros plan des pieds de Blaireau. Entre les jambes de Blaireau, on
voit apparaître le chien, qui était caché sous un étalage voisin.
Il s'approche de son maître, portant les deux paniers de poissons
sur son dos, un peu à la manière d'une selle de cheval, ou d'un
bât de mulet, chaque panier pendant d'un côté de son corps. Au
moment où il passe sous le banc de Blaireau, celui-ci resserre les
jambes. Le chien se faufile entre les pieds de Blaireau, mais les
paniers de poisson sont dégagés par les jambes de Blaireau, et
reprennent leur place sous le banc.
Plan rapproché de Blaireau. Le chien monte à côté de lui sur le
banc, et se redresse sur ses pattes arrière.
BLAIREAU
Hein, mon chien...
Il lui donne une friandise.
BLAIREAU
Qui qu'en veut, qui qu'en veut, qui qu'en veut, des
champipi, des champignons ?
Il se penche vers son chien, et lui fait un câlin, tout en le
caressant.
MONTPAILLARD - LIBRAIRIE - EXTÉRIEUR JOUR
Plan moyen du maire en train de parler à Parju, devant la boutique
du libraire. Le maire semble assez en colère. Parju penche la
tête, l'air penaud. Autour d'eux, circulent les clients du marché.
MONSIEUR DUBENOÎT
Ainsi, non seulement vous êtes incapable de maintenir
l'ordre, mais vous créez le désordre ! Hein ?
Arabella entre dans le champ, se dirigeant vers la librairie.
MONSIEUR DUBENOÎT
Ah ! Ma petite Arabella, comment va monsieur votre papa ?
ARABELLA DE CHAVILLE
Ça boume !
MONSIEUR DUBENOÎT
Et madame votre maman ?
ARABELLA DE CHAVILLE
Elle boume aussi !
MONSIEUR DUBENOÎT
Et bien, parfait, parfait...
Arabella entre chez le libraire et le maire se retourne vers
Parju, et le pousse devant lui.
MONSIEUR DUBENOÎT
Allez... Allez... Vous restez là, planté comme une
barrique !
Le maire et Parju sortent du champ, et Armand Fléchard s'approche
de la boutique du libraire.
MONTPAILLARD - LIBRAIRIE - INTÉRIEUR JOUR
Plan en enfilade de la libraire, avec l'entrée dans le fond du
champ. Arabella entre dans la librairie. La libraire se tourne
vers elle.
LA LIBRAIRE
Les Séries Noires sont là.
ARABELLA DE CHAVILLE
Je sais, merci.
Arabella s'approche d'une étagère sur laquelle sont rangées les
Séries Noires. Elle pointe les livres du doigt l'un après l'autre.
ARABELLA DE CHAVILLE
Je l'ai lu !... Je l'ai lu !... Je l'ai lu !... Je l'ai
lu !...
La clochette de la porte d'entrée retentit et Fléchard entre dans
la boutique. Arabella prend un livre sur l'étagère.
ARABELLA DE CHAVILLE
Tiens ! « Tu peux courir ». Je ne l'ai pas lu, celui-là.
Elle se dirige vers la caisse et donne le livre à la libraire.
ARABELLA DE CHAVILLE
Attendez, je vais voir les autres.
Elle retourne vers les étagères en croisant Fléchard, qu'elle
semble ignorer.
LA LIBRAIRE
Bonjour, monsieur Fléchard.
Fléchard marmonne un « bonjour » un peu incompréhensible. Arabella
semble seulement s'apercevoir de la présence de Fléchard et se
tourne vers lui.
ARABELLA DE CHAVILLE
Bonjour, monsieur Fléchard.
ARMAND FLÉCHARD
Bonjour, mademoiselle...
LA LIBRAIRE
Vous désirez ?
ARMAND FLÉCHARD
« Nous Deux ».
Arabella se tourne vers Fléchard et le regarde en ricanant.
Fléchard continue à marmonner.
ARMAND FLÉCHARD
Hé oui, je sais pas...
La libraire se dirige vers les magazines, et Arabella regarde les
livres disposés sur un tourniquet. La libraire s'approche de
l'étalage des magazines, et Fléchard s'approche subrepticement de
la caisse. Il sort un papier de sa poche et le dépose à
l'intérieur du livre choisi par Arabella, puis il s'éloigne. La
libraire se tourne vers lui en écartant les bras.
LA LIBRAIRE
Plus de « Nous Deux ».
ARMAND FLÉCHARD
Ah !...
Arabella prend un livre sur le tourniquet et s'approche de la
caisse.
ARABELLA DE CHAVILLE
« Ne tirez pas sur le pianiste »...
Elle ramasse le livre qu'elle avait déposé auparavant.
ARABELLA DE CHAVILLE
« Tu peux courir »... je le prends pas aujourd'hui.
LA LIBRAIRE
Bien.
Elle va remettre le livre sur l'étagère.
ARABELLA DE CHAVILLE
Je vous le rends.
Elle revient vers la caisse.
ARABELLA DE CHAVILLE
Je vous dois combien ?
LA LIBRAIRE
Deux cents vingt.
Derrière elle, Fléchard prend le livre déposé par Arabella et
récupère son petit billet doux. Arabella ouvre son sac à main pour
payer.
ARABELLA DE CHAVILLE
Match est arrivé ?
LA LIBRAIRE
Il est en devanture.
Arabella ferme son sac, et prend son livre, qu'elle feuillète.
Fléchard sort de la boutique, suivie par la libraire.
MONTPAILLARD - LIBRAIRIE - EXTÉRIEUR JOUR
Plan moyen sur Fléchard. Il se penche vers les magazines en
devanture. Panoramique descendant sur la main de Fléchard.
Le panoramique se termine en plan rappropché sur la main de
Fléchard glissant son billet doux dans « Paris Match ». Puis on
voit la main de la libraire, qui vient prendre le magazine, et on
suit le magazine qui rentre dans la boutique dans la main de la
libraire. La caméra reste pointée au niveau du sol et on voit
tomber par terre le billet doux glissé dans le magazine. On voit
ensuite les pieds de Fléchard qui se précipitent. L'un des pieds
se pose sur le billet doux. A ce moment, on voit la robe et les
pieds d'Arabella, qui sort de la librairie.
ARABELLA DE CHAVILLE (voix off)
Au revoir, monsieur Fléchard. A tout à l'heure pour ma
leçon.
Fléchard marmonne quelques mots totalement incompréhensibles, où
l'on distingue vaguement « bien entendu ». Arabella s'éloigne, et
on voit la main de Fléchard, qui se penche pour ramasser le
billet, puis ses pieds qui sortent de la boutique
MONTPAILLARD - FLEURISTE - EXTÉRIEUR JOUR
Plan moyen sur la boutique de la fleuriste. Sur un tréteau sont
disposés plusieurs vases. Arabella s'approche, et pointe le doigt
vers certaines fleurs.
ARABELLA DE CHAVILLE
Les roses et puis... les immortelles, pour maman.
Zoom avant sur les roses. On voit la main de Fléchard qui glisse
son billet au milieu des roses.
FONDU ENCHAÎNÉ
CHÂTEAU DE CHAVILLE - CHAMBRE D'ARABELLA - INTÉRIEUR JOUR
Gros plan sur le bouquet de roses, qui est maintenant posé sur un
meuble dans la chambre d'Arabella. On voit la main de Fléchard qui
fouille dans le bouquet. Panoramique sur le visage de Fléchard qui
n'a rien trouvé rien et qui soupire. Il marche de long en large
dans la pièce vide et regarde sa montre. D'un seul coup, son
regard s'arrête sur quelque chose qu'il vient d'apercevoir. Il
s'approche du mur, sur lequel plusieurs photos sont punaisées.
Gros plan sur l'une des photos, qui représente un homme torse nu,
tatoué et le crâne rasé, et surtout très « baraqué ». Zoom arrière
sur Fléchard qui regarde la photo. Il se retourne, l'air dépité.
Il jette un coup d'oeil sur la photo, puis se touche les cheveux.
Il se déplace dans la pièce, et passe devant la coiffeuse
d'Arabella. Il se penche sur une photo qui trône sur la coiffeuse.
Plan rapproché de la coiffeuse. La photo représente un autre
homme, au torse à moitié nu. Il n'est pas tatoué, celui-là, et il
a gardé ses cheveux, mais par contre, lui aussi est très
« baraqué ». On voit le reflet de Fléchard dans le miroir de la
coiffeuse. Il touche sa chevelure, pour essayer de la faire
ressembler à celle de l'homme de la photo. Son regard parcourt la
coiffeuse, et découvre, coincé sous un petit pot en porcelaine, le
billet qu'il avait auparavant glissé dans le bouquet de roses.
ARMAND FLÉCHARD
Oh, mon billet.
Il le ramasse et le déplie. Il semble ravi. Il embrasse le billet
et le remet sous le petit pot. A ce moment son regard est attiré
par autre chose.
Plan de demi-ensemble de la chambre. Fléchard est en contemplation
devant une représentation de statue antique, qui représente un
homme nu et très musclé, dans une posture étudiée. Fléchard
s'approche de la statue, et essaie de reproduire sa posture. Il ne
voit pas la porte qui s'ouvre derrière lui, et Arabella qui entre
dans la pièce.
ARABELLA DE CHAVILLE
Et bien, Tarzan ?
Fléchard reprend une pose plus digne. Il bafouille quelques mots
incompréhensibles, puis se dirige vers le piano
ARMAND FLÉCHARD
Travaillons... mademoiselle, travaillons.
Arabella s'assoit sur le banc du piano. Fléchard dépose sa sacoche
sur le piano, et s'accoude sur le piano.
ARMAND FLÉCHARD
Nous allons attaquer aujourd'hui l'allegretto amoroso.
Arabella commence à jouer. Fléchard bat la mesure.
ARMAND FLÉCHARD
Plus d'intensité, mademoiselle, plus de passion.
Arabella joue avec le regard un peu vague, dirigé vers le plafond.
ARMAND FLÉCHARD
Mais à quoi pensez-vous donc ?
ARABELLA DE CHAVILLE
Oh, à autre chose.
ARMAND FLÉCHARD
Mais pensez... oh, je ne sais pas, mais pensez... à l'homme
que vous aimerez.
ARABELLA DE CHAVILLE
Oh, c'est pas prêt de m'arriver. D'ailleurs, je n'aimerais
jamais qu'un homme d'action, un homme comme moi. Et à
Montpaillard...
Elle ferme le couvercle du clavier d'un coup sec.
ARABELLA DE CHAVILLE
... il n'y a que des nouilles !
Fléchard se redresse, ramasse sa sacoche et s'éloigne un peu
d'elle.
ARMAND FLÉCHARD
Merci beaucoup, mademoiselle. Je suis donc... une nouille.
Il se dirige vers la porte.
ARABELLA DE CHAVILLE
Mais vous êtes de Dijon.
ARMAND FLÉCHARD
Oui, enfin, c'est vite dit, ça.
Fléchard ouvre la porte et sort de la chambre. Arabella reste
assise devant le piano.
ARABELLA DE CHAVILLE
Mais qu'est-ce qu'il y a ?
CHEZ DUBENOÎT - SALLE À MANGER - INTÉRIEUR JOUR
Plan moyen de Dubenoît qui agite une sonnette, assis devant une
table richement dressée.
MONSIEUR DUBENOÎT
Ah, les femmes !
Zoom arrière nous permettant de découvrir l'ensemble de la table.
Le juge est assis à côté de Dubenoît. En face de Dubenoît,
monsieur Bluette. Et à côté de Bluette, le comte de Chaville.
Dubenoît verse du vin à ses invités. Derrière eux, Léontine, la
domestique de Dubenoît, se dirige vers la table en portant un
plat.
MONSIEUR BLUETTE
Et bien, messieurs, c'est à une femme que je dois mon
entrée dans la carrière administrative.
Léontine pose un plat de truites sur la table.
MONSIEUR DUBENOÎT
Oh la la ! Quel lapin, ce Bluette, hein ?
Tout en parlant, les quatre hommes boivent et mangent.
MONSIEUR BLUETTE
Elle jetait l'argent par les fenêtres, et moi, je le
regardais tomber.
LÉON DE CHAVILLE
Que c'est parisien !
MONSIEUR BLUETTE
A cette époque, j'étais cousin du ministre...
LE JUGE LERECHIGNEUX
Vous n'êtes plus son cousin ?
MONSIEUR BLUETTE
C'est lui qui n'est plus ministre. Il eut tout juste le
temps de me nommer à Montpaillard. Et ça tombait bien. Oui,
il ne me restait plus qu'à devenir directeur de prison, ou
aller en prison moi-même.
Tous les convives éclatent de rire. Dubenoît se tourne vers ses
invités.
MONSIEUR DUBENOÎT
Encore une truite ?
Gros plan sur le plat de truites. On voit les mains de Dubenoît
qui passent les couverts de service au comte.
LÉON DE CHAVILLE (voix off)
Ben, mon Dieu, je me laisserai tenter.
Il se sert. On suit le poisson qui passe du plat dans son
assiette. Puis la caméra remonte vers le visage du comte.
LÉON DE CHAVILLE
Oui, je n'ai pas mangé de truite... mais depuis la
fermeture de la pêche, ma foi.
Contrechamp sur Dubenoît et le juge. Le juge continue à boire
tranquillement, mais Dubenoît ne semble plus être aussi à son
aise. Le juge repose son verre.
LE JUGE LERECHIGNEUX
Au fait, la pêche n'ouvre que demain ?
Dubenoît se renverse dans sa chaise. Il semble très en colère tout
à coup.
MONSIEUR DUBENOÎT
Léontine !
Léontine s'approche de son patron.
LÉONTINE
Monsieur ?
Dubenoît lui montre le plat de truites.
MONSIEUR DUBENOÎT
Blaireau, naturellement ?
LÉONTINE
Ben, je croyais faire plaisir à monsieur.
MONSIEUR DUBENOÎT
Misérable, vous n'avez pas honte. Sortez et enlevez ça !
Léontine ramasse le plat, et l'emporte. Le juge la regarde partir
avec regret.
MONSIEUR DUBENOÎT
Oh, ça... Oh !... Oh-oh !... Mais j'y pense, messieurs,
mais nous le tenons, notre lascar. Flagrant délit. Quel est
le tarif pour la prison ?
LE JUGE LERECHIGNEUX
Maximum de la peine : six mois.
MONSIEUR DUBENOÎT
Seulement. Ça, c'est scandaleux, mais ça vaut mieux que
rien. Hé-hé ! En cabane, mon gaillard, en cabane. Allez !
LE JUGE LERECHIGNEUX
Six mois pour le braconnier, et trois mois pour les
recéleurs.
Tout en parlant, Dubenoît continue à manger... sa truite !
MONSIEUR DUBENOÎT
Si y en a, il faut les poursuivre.
LE JUGE LERECHIGNEUX
Les recéleurs sont ceux qui mangent les truites de
Blaireau.
Dubenoît lâche ses couverts dans son assiette, et se met à
tousser, puis à agiter les mains, comme si soudain, il
s'étouffait. Bluette se lève pour lui taper dans le dos, imité par
le juge. On entend un roulement de tambour.
FONDU ENCHAÎNÉ
MONTPAILLARD - UNE RUE - EXTÉRIEUR JOUR
Gros plan sur une affiche collée sur un mur. Il y est inscrit :
« Ville de Montpaillard - A l'occasion de l'ouverture de la pêche
- Grand Concours - Sous le patronage de la Gaule Indépendante de
Montpaillard - 1° Prix 5000 francs - 2° Prix 1500 francs - 3° Prix
500 francs - 4° Prix Un superbe Objet d'Art ». On entend toujours
le roulement de tambour.
PARJU (voix off)
Avis !...
Il prononce : « avisse ».
PARJU (voix off)
Demain, à l'occasion de l'ouverture de la pêche...
Panoramique vers la droite, nous permettant de découvrir, en plan
moyen, Parju, un tambour en bandoulière, debout au milieu de la
rue, avec des badauds rassemblés autour de lui.
PARJU
... organisé par la Gaule Indépendante de Montpaillard,
grand concours de...
Pendant qu'il parlait, Blaireau, qui était derrière lui, s'est
approché de lui. Parju s'arrête de parler et tourne la tête vers
lui. Blaireau le regarde avec un petit sourire narquois.
PARJU
... de pêche. Premier prix : cinq milles francs.
Blaireau se tourne vers les autres badauds en faisant « Oh !... ».
PARJU
Deuxième prix : quinze cents francs.
Blaireau regarde les autres en ricanant.
PARJU
Troisième prix : cinq cents francs. Quatrième prix : un
superbe objet d'art.
Blaireau tape sur le bras de Parju.
BLAIREAU
Hé, Parju, tout petit-petit.
Avec deux doigts, il montre la taille de « l'objet d'art ». Parju
tape sur son tambour et Blaireau s'éloigne précipitamment.
PARJU
On peut encore s'inscrire au café Bonino !
Il tape sur son tambour.
FONDU ENCHAÎNÉ
MONTPAILLARD - COIFFEUR - INTÉRIEUR JOUR
Plan de demi-ensemble dans un salon de coiffure pour hommes. Sur
la droite du champ, deux hommes sont assis sur des fauteuils,
l'un, vers le fond, en train de se faire raser, et l'autre, plus
près de la caméra, en train de se faire couper les cheveux. Ce
dernier n'est autre qu'Auguste, le tonnelier, que nous avons déjà
vu au début du film.
BLAIREAU (voix off)
Hé !
Blaireau entre sur la gauche avec son chien dans les bras.
LE COIFFEUR
Salut, Blaireau.
BLAIREAU
Salut !
Il s'assoit sur l'une des chaises alignées sur le mur de gauche.
AUGUSTE
Bonjour.
LE CLIENT QUI SE FAIT RASER
Et bien moi, demain, j'amorcerai au pain de Chablis.
AUGUSTE
Moi, j'y vais au fouillis dans la vase.
BLAIREAU
Ah ! vous me faites tous rigoler, vous, avec votre
fouillis.
AUGUSTE
Ben quoi, comment je ferais tourner l'eau ?
BLAIREAU
Moi, les concours, je laisse ça aux enfants de choeur.
Le coiffeur vient de terminer Auguste, qui se lève. Il tape sur
l'épaule de Blaireau
LE COIFFEUR
A toi, Blaireau !
Blaireau se lève, pendant que le coiffeur aide Auguste à se
débarrasser de sa tunique de protection.
BLAIREAU
Ah-ah, non, c'est pas pour moi, c'est pour mon chien.
Il dépose le chien sur le fauteuil du coiffeur. Auguste récupère
son chapeau sur un porte-manteau.
BLAIREAU
Alors, bien dégagé derrière... et les oreilles, comme
d'habitude. Hein ?
FONDU ENCHAÎNÉ
MONTPAILLARD - LE MAGASIN DE PÊCHE - EXTÉRIEUR JOUR
Plan de demi-ensemble du magasin de pêche, devant lequel plusieurs
hommes, dont un gendarme, sont rassemblés, discutant du concours
du lendemain. Le maire sort du magasin, une canne à pêche à la
main.
MONSIEUR DUBENOÎT
Messieurs, bonjour !
Les hommes rassemblés le saluent en soulevant leurs chapeaux ou
leurs casquettes.
VOIX DIVERSES
Monsieur le maire... Monsieur le maire... Ah, monsieur le
maire.
Le maire s'éloigne du magasin, mais s'arrête en voyant approcher
Maître Guilloche.
MAÎTRE GUILLOCHE
Comment, monsieur le maire, vous faites le concours ?
MONSIEUR DUBENOÎT
Sachez, Guilloche, que je ne néglige jamais une occasion de
me rapprocher de mes administrés.
MAÎTRE GUILLOCHE
Si vous étiez plus près de vos administrés, monsieur le
maire, vous n'auriez pas besoin de vous en rapprocher.
Guilloche se dirige vers le magasin, dont la porte est ouverte et
lance, d'une voix forte :
MAÎTRE GUILLOCHE
Donnez-moi des hameçons, du quatre.
Le maire pouffe de rire. Un homme se tourne vers Guilloche en
riant.
L'HOMME
Du quatre ? C'est pour pêcher la baleine ?
Tous les autres hommes éclatent de rire. Guilloche, sur le seuil
du magasin, se retourne, l'air un peu dépité.
FONDU ENCHAÎNÉ
MONTPAILLARD - CAFÉ - INTÉRIEUR JOUR
Plan de demi-ensemble du café, vu du fond de la salle. Il y a
beaucoup de monde, surtout des hommes. Au fond, Guilloche discute
avec un client. Au premier plan, assis derrière une petite table,
Parju prend les inscriptions au concours. A côté de lui, sur la
table de billard, les coupes sont exposées. Parju lit le règlement
à un homme debout devant lui, le chapeau à la main.
PARJU
Chaque pêcheur a droit à une seule ligne... flottante,
tenue à la main, munie d'un seul hameçon, et montée
fixement sur le scion, ou avec caoutchouc roubaisien.
Il souligne plusieurs éléments du règlement en pointant le doigt
vers le candidat.
LE CANDIDAT
Bon.
PARJU
Je t'inscris ?
LE CANDIDAT
Oui.
L'homme s'éloigne. Parju note son nom sur la liste posée devant
lui. Guilloche fait signe à l'homme de s'approcher.
MAÎTRE GUILLOCHE
Monsieur Chabert.
Plan moyen sur le comptoir. Guilloche a un verre à la main. Autour
de lui, plusieurs hommes ont aussi un verre à la main.
MAÎTRE GUILLOCHE
Messieurs... Je bois à la pêche... sport démocratique,
symbole de la liberté.. et de l'indépendance. Vive la pêche
à la ligne !
Il lève son verre, imité par les autres hommes.
Plan moyen sur une table, autour de laquelle quatre hommes sont
attablés : Auguste, le boucher, le patron du restaurant, et un
quatrième homme, un peu plus âgé que les autres.
LE RESTAURATEUR
L'année dernière, j'ai tiré sept gardons de fond comme la
main.
Il montre sa main.
LE BOUCHER
Des ablettes !
LE RESTAURATEUR
Non, monsieur, des gardons de fond que c'était !
L'homme plus âgé, assis à côté du restaurateur, se tourne vers
lui.
L'HOMME ÂGÉ
Moi, en treize, j'ai pêché une carpe miroir de dix-huit
livres.
Ses compagnons se mettent à rire.
LE RESTAURATEUR
C'est comme le brochet d'Auguste !
Il montre Auguste du doigt. Sans enlever la pipe qu'il a en
bouche, Auguste lui répond.
AUGUSTE
Parfaitement ! Un brochet comme ça !
Il écarte ses deux mains, montrant une taille de plus de cinquante
centimètres. Blaireau, qui était assis à une table derrière lui,
se retourne.
AUGUSTE
Un monstre !
Les autres hommes éclatent de rire. Blaireau sourit.
LE BOUCHER
Comment qu'il était, ton brochet ?
Auguste, qui a gardé les mains écartés, les écarte même légèrement
un peu plus.
AUGUSTE
Comme ça !
BLAIREAU
Hé...
Sans se lever, il lui rapproche les main, pour arriver à une
dizaine de centimètres.
BLAIREAU
... comme ça.
Le restaurateur éclate de rire.
AUGUSTE
Ça va, Blaireau, c'est facile d'en prendre du poisson quand
la pêche est fermée.
Il boit son verre.
LE RESTAURATEUR
A la loyale, t'es pas plus malin que les autres...
BLAIREAU
Ah-ah-ah-ah...
Il se lève.
BLAIREAU
A la loyale, je vous y prends tous !
Les quatre hommes protestent.
BLAIREAU
Parju !
Il s'éloigne de la table.
Même plan de demi-ensemble que précédemment, avec Parju en premier
plan. Blaireau s'approche de Parju.
BLAIREAU
Parju ! Inscris-moi au concours.
Il pose les deux mains sur la table de Parju.
PARJU
Un malfaiteur ? Jamais.
BLAIREAU
Fais attention, Parju, je vais te claquer le beignet.
Parju se lève, l'air outré par cette menace.
PARJU
Des menaces à un représentant de l'autorité ?
Il le saisit par le col et le secoue. Les deux hommes sont prêt à
se battre. Guilloche s'approche d'eux, et repousse Parju.
MAÎTRE GUILLOCHE
Garde !... Garde, inscrivez Blaireau.
Parju pointe le doigt vers Blaireau.
PARJU
Ce sale...
MAÎTRE GUILLOCHE
Au nom de la Déclaration des Droits de l'Homme, je vous
somme d'inscrire Blaireau !
Guilloche, tenant fermement le bras de Parju, le force à se
rassoir sur sa chaise, puis il prend Blaireau par les épaules.
BLAIREAU
Bravo !
Tous les clients applaudissent. Guilloche les salue. Parju prend
son porte-plume sous la surveillance de Blaireau. Guilloche se
tourne vers Blaireau et lui serre vigoureusement les mains.
MONTPAILLARD - UNE RUE - EXTÉRIEUR JOUR
Plan d'ensemble en enfilade d'une rue assez large. En travers de
la rue, une banderole a été accrochée. Il y est inscrit : « La
Gaule Indépendante de Montpaillard - Gd Concours de Pêche ».
Beaucoup de gens sont massés sur les deux trottoirs, regardant
arriver le défilé, que l'on voit s'approcher du bout de la rue,
fanfare en tête. Devant le cortège, un homme porte un grand
étendard, représentant un cavalier et une femme vêtue d'une
tunique vaporeuse. Sous l'image est inscrit : « L'Amicale de
Montpaillard ». Derrière lui, la fanfare, qui joue une marche
joyeuse. Derrière la fanfare, au premier rang, de droite à gauche,
le maire, Bluette, Guilloche, un petit garçon à lunettes et le
juge. Derrière eux, les autres candidats. Ils portent tous des
cannes à pêche, des épuisette et des paniers à poisson. Beaucoup
d'hommes, mais néanmoins quelques femmes. Au dernier rang, Armand
Fléchard. En queue de cortège, Parju, et derrière lui, marchant et
sautillant les mains dans les poches, Blaireau.
Travelling sur Blaireau, qui marche en sautillant le long de la
rue.
Plan rapproché et travelling arrière sur la tête du cortège. Le
maire affiche un air très sérieux. A côté de lui, Bluette est plus
souriant.
Panoramique sur les autres hommes du premier rang. Guilloche
affiche un air grave et important. Le petit garçon à lunettes
regarde le juge, qui affiche, lui aussi, un air grave et sérieux.
Contrechamp sur la fanfare vue de dos. Puis panoramique sur la
foule massée sur le trottoir. La caméra s'arrête sur Arabella et
sa mère, toutes deux très élégamment vêtues de blanc.
Plan rapproché sur Arabella avec le défilé en arrière-plan.
Arabella salue les pêcheurs. Apparaît Fléchard, qui s'arrête de
marcher, tout en continuant à marquer, des pieds, la cadence. Il
enlève sa casquette pour saluer Arabella, qui ne semble pas le
remarquer. Parju dépasse Fléchard. Lorsque Blaireau arrive à la
hauteur de Fléchard, il s'arrête, et incite Fléchard à reprendre
sa place dans le cortège. Fléchard s'exécute. Blaireau reste sur
place et sourit à Arabella. Parju arrive en courant, prend
Blaireau par le col de sa veste pour le ramener dans le cortège.
Les deux hommes s'éloignent en marchant au pas.
FONDU ENCHAÎNÉ
MONTPAILLARD - UNE LARGE RIVIÈRE - EXTÉRIEUR JOUR
Plan général de la rivière où se déroule le concours, vue d'un
pont. Sur le pont, donc en premier plan, Guilloche est assis
derrière une table et pointe les candidats au fur et à mesure
qu'ils arrivent. Parju est debout à côté de lui. Un candidat
s'arrête devant la table et prend le sac en papier que lui tend
Guilloche. Puis il va rejoindre les autres candidats, que l'on
voit installés tout le long de la berge de la rivière. Cette berge
est très dégagée, avec seulement quelques arbres dans le fond.
Elle est bordée par un talus, sur lequel se sont installés les
spectateurs du concours. Parju sort un papier de son képi, posé
sur la table, et le déplie.
MAÎTRE GUILLOCHE
Cinquante-deux...
PARJU
Prouteau.
Prouteau s'approche et prend son sac.
Plan rapproché sur Parju et Guilloche.
MAÎTRE GUILLOCHE
Cinquante-trois...
Parju affiche un large sourire, en lisant le nom inscrit sur le
papier qu'il vient de tirer au sort.
PARJU
Monsieur Dubenoît.
Il salue. Le maire approche, portant plusieurs cannes, un filet,
et, en bandoulière, un petit banc de pêcheur, faisant aussi office
de coffre de rangement du matériel.
PARJU
Monsieur le maire.
MONSIEUR DUBENOÎT
Bonjour.
Guilloche prend un sac en papier sur la table et le tend au maire.
MAÎTRE GUILLOCHE
Voilà votre sac en papier, monsieur le maire. Cinquante-
quatre...
Parju prend un autre papier, le déplie, et ouvre des yeux ahuris.
MAÎTRE GUILLOCHE
Et bien, Parju... cinquante-quatre.
Parju montre à Guilloche le nom inscrit sur le papier. Guilloche
sourit.
MAÎTRE GUILLOCHE
Blaireau.
Le maire, qui avait commencé à s'éloigner, se retourne.
MONSIEUR DUBENOÎT
Blaireau ? Moi, à côté de Blaireau ? Ah, ça jamais alors !
Blaireau s'approche de la table.
MAÎTRE GUILLOCHE
Ah-ah, monsieur le maire, le tirage au sort doit être
respecté, sinon le concours est annulé.
Il donne son sac à Blaireau, qui le fourre dans la poche de sa
veste, puis s'incline respectueusement devant le maire.
BLAIREAU
Après vous, monsieur le maire.
Ils s'éloignent l'un derrière l'autre. Guilloche se penche sur sa
liste en ricanant.
Plan moyen sur Auguste, installé à sa place au bord de la rivière.
Plusieurs cannes à pêche sont plantées autour de lui, l'enfermant
dans une sorte de cage. Il dispose des petites boîtes au pied des
cannes à pêche. Il se relève en voyant arriver le maire, qui passe
devant lui, l'air très digne, suivi de Blaireau, qui s'arrête
devant Auguste, et se penche sur les boîtes. Blaireau ricane,
agite la main et s'éloigne.
BLAIREAU
Aïe-aïe-aïe-aïe !...
Travelling sur Blaireau, qui passe devant les candidats en train
de préparer leur matériel. Il les regarde avec curiosité. Il
s'arrête devant un candidat, qui a ouvert une grande boîte en
bois, et en inspecte le contenu. Blaireau se penche sur la boîte,
que le candidat referme vivement. Blaireau prend un air dégoûté et
reprend son chemin. Tout en marchant, il sort le sac en papier de
sa poche. Il passe devant le maire, puis s'arrête à côté de lui, à
l'emplacement qui lui a été attribué.
PARJU (parlant en voix off en utilisant un porte-voix)
Chaque poisson pêché devra être déposé dans le sac en
papier.
Blaireau gonfle le sac avec sa bouche, puis le fait exploser en
claquant des mains. Le maire sursaute.
MONSIEUR DUBENOÎT
Chut ! Allons, voyons.
Blaireau fait une mimique comique, puis jette le sac par terre. Il
s'éloigne sous l'oeil intrigué du maire, qui s'assoit sur la
caisse-banc de pêche qu'il a apporté. Blaireau revient portant un
grand baquet en bois, qu'il pose au bord de l'eau. Puis il
s'assoit sur le rebord du baquet et regarde la rivière avec
attention.
PARJU (parlant en voix off en utilisant un porte-voix)
Attention ! Attention ! Le concours de pêche va commencer.
Blaireau met ses mains en visière pour mieux inspecter la rivière.
Plan moyen de Parju et Guilloche sur le pont, vus de dos, et avec
la rivière et les pêcheurs en contrebas. Guilloche tient un fusil
et Parju parle dans le porte-voix.
PARJU
Premier coup de fusil, amorçage.
Guilloche tire, ce qui fait sursauter Parju, qui se frotte les
oreilles. En contrebas, on voit les pêcheurs qui jettent leurs
amorces dans l'eau.
MAÎTRE GUILLOCHE
Allons, voyons, Parju, allons !
Plan moyen sur deux pêcheurs en train de jeter leurs amorces dans
l'eau, puis travelling sur la rangée de pêcheurs, chacun jetant sa
préparation dans l'eau. On arrive au maire, qui en fait autant.
Blaireau, debout les mains sur les hanches, le regarde en
souriant. Derrière lui, un pêcheur jette carrément un seau entier
dans la rivière. Le bruit fait sursauter Blaireau, qui se tourne
vers le pêcheur.
Retour sur Parju et Guilloche, qui observent la scène.
Plan rapproché sur Blaireau, qui verse quelque chose dans le creux
de sa main, à partir d'un petit sachet en papier. Il replie le
sachet et le remet dans la poche pectorale de sa veste. Puis il
prend une pincée de sa mystérieuse préparation et la jette dans la
rivière. Il recommence l'opération trois fois puis se frotte les
mains l'une contre l'autre.
Retour sur Parju et Guilloche. Parju a repris son porte-voix.
PARJU
Les concurrents devront annoncer, à chaque prise, leur
numéro à haute voix.
Il tape sur le bras de Guilloche.
PARJU
Deuxième coup de fusil, jetez vos lignes.
Plan moyen sur Auguste et, derrière lui, la rangée de pêcheurs
alignés le long de la rivière. Ils ont tous pris leur canne en
main et ont les yeux rivés sur le pont.
Retour sur Parju et Guilloche. Guilloche appuie sur la gâchette du
fusil, mais le coup ne part pas. Un « Oh » de protestation s'élève
de la foule des pêcheurs. Parju les calme de la main.
MAÎTRE GUILLOCHE
Oh, mais que se passe-t-il alors ?
Guilloche ouvre le fusil et le referme. Il appuie de nouveau sur
la gâchette, mais rien ne se produit. Nouveau « Oh » de
PROTESTATION
MAÎTRE GUILLOCHE
Oh, écoutez, Parju, moi, je ne m'en sors pas.
Il donne son fusil à Parju et prend le porte-voix. Parju ouvre le
fusil et le referme.
MAÎTRE GUILLOCHE
Excusez ce petit incident. Ça vient, ça vient.
Parju prend le fusil par le canon, et tape la crosse par terre. Le
coup part sans prévenir, faisant voler le képi de Parju. Guilloche
sursaute, enlève son chapeau, et lance un regard mécontent à
Parju. Derrière eux, en contrebas, on voit les pêcheurs qui
lancent leurs lignes dans la rivière.
Retour sur Auguste et les autres pêcheurs alignés derrière lui.
Toutes les lignes sont dans l'eau et tous les pêcheurs ont le
regard rivé sur leurs bouchons.
Plan moyen sur Blaireau, accroupi au pied d'un arbuste, dont il
coupe une branche. Il se relève, et inspecte la badine, qu'il
vient de couper, et qui mesure environ un mètre cinquante. Il
ferme un oeil et place la badine horizontalement devant l'autre oeil
pour vérifier qu'elle est bien droite. Avec son couteau, il
commence à effeuiller la badine, sous l'oeil curieux du pêcheur
voisin.
Contrechamp sur le maire qui, lui aussi, le regarde d'un air
curieux et surpris.
Retour sur Blaireau qui finit d'effeuiller sa badine. Il replie
son couteau et le remet dans sa poche, tout en sifflotant la
mélodie de « La Truite » de Schubert. D'une poche de sa veste, il
sort une boîte d'allumettes, et une bobine de fil. Il coince la
boîte entre ses dents.
Gros plan sur la bobine de fil. Il s'agit de fil de nylon, de fil
de pêche. Les mains de Blaireau en déroule une bonne longueur.
Puis Blaireau arrache un bouton à la poche pectorale de sa veste
et passe le fil dans un des trous du bouton. On voit apparaître la
boîte d'allumettes, que les mains de Blaireau ouvrent et dont
elles sortent une allumette. Puis Blaireau jette la boîte par
terre, et coince le fil dans le trou du bouton avec l'allumette.
Ensuite, il tire le fil, qui crisse au passage, pour en avoir une
longueur suffisante de l'autre côté du bouton.
Retour en plan moyen sur Blaireau, qui tire son fil, et en attache
l'extrémité au bout de la badine.
Contrechamp sur le maire, toujours aussi intrigué.
Retour sur Blaireau, qui enfonce bien l'allumette dans le bouton.
Il coupe un bout de fil avec ses dents et le crache par terre.
Contrechamp sur le maire, un peu choqué.
Retour sur Blaireau, qui a ressorti son mystérieux petit sachet,
dans lequel il plonge la main. Il jette un coup d'oeil au maire,
puis se tourne légèrement de façon à ce que ce dernier ne voit pas
ce qu'il fait.
Contrechamp sur le maire, qui l'observe, puis tourne
ostensiblement la tête.
Retour en plan plus large sur Blaireau, permettant de voir le
maire en premier plan. Blaireau jette sa ligne dans l'eau. Puis il
tape du pied. Un coup, un temps, puis deux coups successifs.
Gros plan sur la ligne de Blaireau plongée dans l'eau. Le
« flotteur » improvisé disparaît sous l'eau.
BLAIREAU (voix off)
Cinquante-quatre !
Plan de demi-ensemble de Blaireau, vu de la rivière, avec le maire
à coté de lui et, derrière lui, Guilloche qui le regarde. Blaireau
tire un gros poisson de la rivière.
MAÎTRE GUILLOCHE
Cinquante-quatre !
Blaireau attrape le poisson pour le décrocher.
Plan en enfilade sur les pêcheurs alignés le long de la rivière.
Ils regardent tous vers Blaireau.
BLAIREAU (voix off)
Cinquante-quatre !
Retour sur Blaireau, vu de la rivière. Il rejette sa ligne dans
l'eau, puis tape du pied.
Contrechamp montrant Guilloche et Blaireau, vus de dos. Blaireau
tire un autre gros poisson de l'eau.
BLAIREAU
Cinquante-quatre !
MAÎTRE GUILLOCHE
Cinquante-quatre !
Blaireau décroche le poisson et le jette dans le baquet, dans
lequel il a mis de l'eau. Guilloche se penche sur le baquet. Zoom
avant sur le baquet, et les pieds de Blaireau. Blaireau tape à
nouveau par terre.
BLAIREAU
Cinquante-quatre !
Panoramique ascendant sur Blaireau, qui décroche son gros poisson.
Guilloche sourit et écarte les bras.
MAÎTRE GUILLOCHE
Cinquante-quatre !
Contrechamp sur le maire, qui regarde le poisson tomber dans le
baquet. On entend Blaireau taper du pied.
BLAIREAU (voix off)
Cinquante-quatre !
Plan en enfilade sur les pêcheurs, de plus en plus mécontents.
TOUS LES PÊCHEURS
Oh !...
UN PÊCHEUR
Encore !
Le pêcheur au premier plan jette sa cigarette par terre.
Retour sur Blaireau et Guilloche, avec le maire en arrière-plan.
Blaireau décroche son poisson, et le tend à Guilloche qui le jette
dans le baquet
MAÎTRE GUILLOCHE
Belle pièce !
Plan moyen sur Bluette et Fléchard, vus de dos. Ils tirent tous
les deux leur ligne en même temps. Deux petits poissons sont
accrochés au bout, mais les lignes sont emmêlées. Ils annoncent en
choeur leurs numéros, qui se confondent un peu.
ARMAND FLÉCHARD & MONSIEUR BLUETTE (ensemble)
Vingt-six !
Vingt-sept !
MONSIEUR BLUETTE
Attendez... Attendez, attendez, attendes !
Ils rient en essayant de démêler leurs lignes.
BLAIREAU (voix off)
Cinquante-quatre.
Retour sur Guilloche et Blaireau avec le maire en arrière-plan.
Blaireau jette son dernier gros poisson dans le baquet.
MAÎTRE GUILLOCHE
Cinquante-quatre !
Le maire se lève lentement de son siège, marque un temps, puis
tape du pied par terre. Blaireau tire un autre gros poisson de
l'eau.
BLAIREAU
Cinquante-quatre !
MAÎTRE GUILLOCHE
Belle pièce !
Le maire se rassoit, dépité.
Retour sur Bluette et Fléchard, qui n'ont toujours pas démêlé
leurs lignes. Fléchard prend l'un des poissons.
ARMAND FLÉCHARD
Oh, non, je crois que c'est le mien, celui-là.
MONSIEUR BLUETTE
Ah non... Ah non, pardon, non, c'est le mien.
Ils échangent leurs poissons.
BLAIREAU (voix off)
Cinquante-quatre !
Plan moyen sur le juge, vu de la rivière et assis sur un panier.
Le petit garçon à lunettes est debout près de lui. Le juge tire un
tout petit poisson de la rivière. Il chausse ses lunettes pour
mieux le voir.
LE JUGE LERECHIGNEUX
Douze !
BLAIREAU (voix off)
Cinquante-quatre !
Pendant que le juge essaie de décrocher son poisson, le petit
garçon regarde dans la direction de Blaireau. Le sourire de
satisfaction s'efface du visage du juge, quand, à son tour, il
regarde dans la direction de Blaireau.
Gros plan sur la rivière et sur un gros poisson qui sort de l'eau
au bout d'une ligne. La caméra suit le poisson et arrive en plan
moyen sur Blaireau et Guilloche.
BLAIREAU
Cinquante-quatre !
Retour sur le juge et le petit garçon, qui regardent tous les deux
dans la direction de Blaireau d'un air dépité. Le juge tient
toujours son petit poisson entre ses doigts. Le juge se tourne
vers le petit garçon et hoche la tête.
Gros plan sur le baquet, qui est maintenant plein de gros
poissons. Le dernier poisson tombe dans l'eau avec les autres.
BLAIREAU (voix off)
Cinquante-quatre !
Plan moyen sur le maire qui regarde le baquet.
Retour sur le baquet, et le pied de Blaireau, qui tape par terre.
BLAIREAU (voix off)
Cinquante-quatre !
Le poisson rejoint ses congénères.
Plan de demi-ensemble sur le groupe formé par Blaireau, Guilloche,
le maire, et un autre spectateur, vus de la rivière. Le maire tire
un poisson de belle taille hors de l'eau et se lève.
MONSIEUR DUBENOÎT
Cinquante-trois !
Guilloche et l'autre homme regardent le maire en souriant. Mais
Blaireau reste concentré sur la rivière.
MAÎTRE GUILLOCHE
Ah !...
Plan en enfilade sur les pêcheurs, qui ont un air de plus en plus
dépité.
Retour sur le plan précédent. Dubenoît exhibe son poisson.
MONSIEUR DUBENOÎT
Ah ! et il est beau !
Le poisson lui échappe des mains et retombe dans la rivière.
Guilloche et l'autre homme éclatent de rire. Blaireau se penche
pour tirer le poisson hors de l'eau.
BLAIREAU
Attention !... Et le revoilà !
MAÎTRE GUILLOCHE
Cinquante-quatre !
Guilloche note la prise sur son carnet.
Fondu au noir
MONTPAILLARD - UN BÂTIMENT ADMINISTRATIF - EXTÉRIEUR JOUR
Gros plan sur un article de l'Éveil de Montpaillard. Le titre
annonce « Blaireau Vainqueur », et en-dessous, une photo
représentant un groupe de pêcheur avec, devant eux, accrochés à
une corde, toutes les prises de Blaireau. Sur la photo, au milieu
d'autres personnes inconnues, on reconnaît Blaireau, bien entendu,
le maire et Parju.
Plan moyen du juge et de Bluette, qui regardent le journal, qu'ils
tiennent chacun à la main. Derrière le juge, un gendarme lit par-
dessus son épaule. Ils sont devant un bâtiment d'aspect officiel.
Ils rient en lisant.
LE JUGE LERECHIGNEUX
Et ben !
Guilloche sort du bâtiment.
MAÎTRE GUILLOCHE
Bonjour, messieurs !
LE JUGE LERECHIGNEUX
Dites-moi, Maître Guilloche, c'est une bonne blague que
vous faites au maire.
MAÎTRE GUILLOCHE
Messieurs, ce n'est pas une blague, c'est de l'information.
Il tapote sur le journal que tient le juge.
MONTPAILLARD - ENTRÉE DE LA VILLE - EXTÉRIEUR JOUR
Plan moyen de quatre hommes, assis sur le parapet qui surplombe la
ville. Deux tiennent le journal en main et tous rient à gorge
déployée.
MAIRIE - SALLE DU CONSEIL MUNICIPAL - INTÉRIEUR JOUR
Plan rapproché du maire qui lit le journal dans un coin de la
salle.
MONSIEUR DUBENOÎT
Bougre de sabre de bois de saperlipopette de bon Dieu de
bois !
Il plie le journal, le pose sur la table et tape dessus du plat de
la main. Il se dirige vers la porte et croise Parju qui entre.
PARJU
Je le tiens !
MONSIEUR DUBENOÎT
Qui ?
PARJU
Blaireau !
MONSIEUR DUBENOÎT
Non ?
PARJU
Oui !
MONSIEUR DUBENOÎT
Où est-il ?
PARJU
Dans la pièce à côté.
MONSIEUR DUBENOÎT
Allons-y !
Parju sort précipitamment de la salle, suivi par le maire.
MAIRIE - UN BUREAU - INTÉRIEUR JOUR
Un bureau voisin de la salle du conseil.
Plan moyen du maire qui entre précipitamment, et passe devant un
Parju souriant. Le maire regarde autour de lui, et, ne voyant
rien, lance un regard furieux à Parju
MONSIEUR DUBENOÎT
Vous vous foutez de moi, Parju.
PARJU
Non, je le tiens.
MONSIEUR DUBENOÎT
Mais comment ça ?
Parju pointe quelque chose par terre.
PARJU
Grâce au chien, il va me mener à Blaireau.
La caméra descend au niveau du sol, et nous découvrons le chien de
Blaireau, attaché à un fauteuil par une corde.
MONSIEUR DUBENOÎT (voix off)
Chien ou pas chien, fourrez-moi ce Blaireau sous les
verrous !
Le chien aboie.
MONSIEUR DUBENOÎT (voix off)
C'est une question d'honneur pour moi, comprenez ?
Exécution ! Au trot !
LOGEMENT FLÉCHARD - SALON - INTÉRIEUR JOUR
Plan moyen d'Arabella en train de jouer sur le piano de Fléchard,
avec Fléchard debout à côté d'elle.
ARMAND FLÉCHARD
Au galop, mademoiselle, au galop !
Fléchard semble très énervé, et il marche de long en large dans la
pièce. Arabella essaie de suivre le rythme imposé par Fléchard et
fait une fausse note. Fléchard se retourne. Il semble de plus en
plus énervé.
ARMAND FLÉCHARD
Non ! Non ! Non ! Je ne veux plus vous entendre, hein !
ARABELLA DE CHAVILLE
Monsieur Fléchard, comme vous me traitez durement.
ARMAND FLÉCHARD
Oh, et tant pis.
ARABELLA DE CHAVILLE
Tant mieux. J'aime quand vous êtes méchant avec moi.
ARMAND FLÉCHARD
Oh !
ARABELLA DE CHAVILLE
Vous êtes un homme, vous.
ARMAND FLÉCHARD
Non, je suis une nouille !
Il la force à se lever et la pousse vers la porte.
ARMAND FLÉCHARD
Vous êtes une nouille, et nous sommes tous des nouilles !
Il ramasse le sac à main d'Arabella sur un meuble et le lui donne.
ARMAND FLÉCHARD
Allez vous-en... là !
ARABELLA DE CHAVILLE
Oh !... Je vais le dire à maman.
Il ouvre la porte et la pousse dehors.
ARMAND FLÉCHARD
C'est ça, à votre maman, voilà.
Il claque la porte derrière elle.
ARMAND FLÉCHARD
Bon...
Il s'assoit sur le tabouret du piano.
ARMAND FLÉCHARD
Arabella, tu veux de l'action ? Je vais t'en donner, moi.
Il prend une feuille de papier sur le dessus du piano. Il commence
à écrire. Zoom avant sur Fléchard.
ARMAND FLÉCHARD
« Mademoiselle... le désespéré qui vous aime... dans
l'ombre... vous attendra ce soir à minuit... à côté...
euh... du pressoir. » Signé : « Le ver de terre amoureux
d'une étoile ».
Il semble satisfait de sa formule.
MONTPAILLARD - UN ÉTANG - EXTÉRIEUR JOUR
Plan général d'un étang de belle taille dans la forêt de
Montpaillard. On entend Blaireau qui siffle la ritournelle d'appel
de son chien. Il apparaît en premier plan au bord de l'étang.
BLAIREAU
Fous-le-camp ! Viens ici, son chien !
Il regarde autour de lui avec inquiétude.
BLAIREAU
Viens ici, son chien ! Fous-le-camp ! Fous-le-camp !...
On entend aboyer au loin. Blaireau tourne la tête et semble
surpris par ce qu'il voit.
Contrechamp et plan de demi-ensemble sur la forêt. Parju roule à
bicyclette sur un chemin, avec le chien de Blaireau attaché au
guidon, et qui le guide.
Zoom avant sur Parju qui vient de s'arrêter et descend de vélo. Il
détache le chien.
Retour sur Blaireau au bord de l'étang
BLAIREAU
Oh !... Bougre de gros cochon. Tu vas me le payer...
cher... mais cher...
Il part en courant.
Retour sur Parju.
PARJU
Allez... allez, cherche !
Il laisse tomber son vélo, et se laisse guider par le chien, qu'il
tient en laisse.
Plan en enfilade sur le chemin. Travelling arrière sur Parju, qui
vient vers nous, guidé par le chien.
PARJU
Cherche !
Zoom avant sur le chien, qui fouille dans un fourré au bord du
chemin.
PARJU
Oh !...
Le chien vient de trouver un lièvre dans un piège.
PARJU
Flagrant délit !
Parju s'agenouille à côté du chien pour ramasser le lièvre.
PARJU
Je le tiens.
Il donne le lièvre au chien, qui le prend dans sa gueule, et part
sur le chemin, suivi en laisse par Parju.
PARJU
Porte à ton maître.
Plan de demi-ensemble de Blaireau en train de bricoler quelque
chose au fond d'une barque au bord de l'étang. Une autre barque
est amarrée à côté de la première. On entend la voix de Parju au
loin.
PARJU (voix off)
Où il est, Blaireau ?
Blaireau saute dans la deuxième barque.
PARJU (voix off)
Où il est, Blaireau ?
Blaireau s'éloigne de la rive en poussant la barque avec une
perche.
PARJU (voix off)
Où il est, Blaireau ? Allons, mon petit chien...
Contrechamp et plan de demi-ensemble sur les sous-bois qui bordent
l'étang. Parju sort du sous-bois avec le chien en laisse, et qui
tient toujours le lièvre dans sa gueule.
PARJU
Allez, allez, porte-lui... porte-lui le beau lapin.
Panoramique sur Parju, qui arrive au bord de l'étang.
PARJU
Porte-lui... Porte-lui... Ah ! Le voilà !
Il vient d'apercevoir Blaireau allongé dans sa barque au milieu de
l'étang.
Zoom avant rapide sur Blaireau allongé dans sa barque. La barque
est enchaînée à un piquet planté dans l'étang. Le zoom s'arrête
sur le visage de Blaireau, qui ouvre discrètement un oeil pour
observer Parju. Il ricane.
Contrechamp sur le bord de l'étang. Parju porte le chien sous un
bras, et le lièvre dans l'autre main. Il patauge jusqu'à la
barque.
PARJU
Flagrant délit ! Je vais te prendre en flagrant délit.
Il pose le chien et le lièvre dans la barque et y monte lui-même.
Contrechamp et gros plan sur le visage de Blaireau, qui ouvre
discrètement un oeil.
BLAIREAU
Attends un peu, mon cochon, attends un peu.
Il ricane.
Gros plan sur le visage de Parju, qui sourit. La caméra se déplace
derrière Parju, et nous montre, en gros plan, le fond de la
barque, où le bouchon a été enlevé de l'orifice de vidange, puis
remis en place, mais à peine enfoncé. Le poids de Parju et le
mouvement de la barque font sauter le bouchon. L'eau commence à
entrer dans la barque en bouillonnant, et monte rapidement.
Plan moyen sur Blaireau toujours allongé dans sa barque.
Plan moyen sur Parju qui continue à ramer, alors que sa barque est
maintenant presque remplie d'eau. Le chien monte sur la plage
avant de la barque, et regarde devant lui.
PARJU
Je le tiens ! Hé hé ! Je le tiens !
Parju s'aperçoit seulement alors que sa barque est en train de
couler. Il pose ses rames.
PARJU
Oh ! Oh ! Oh non... Oh !...
Plan moyen sur Blaireau qui se relève dans sa barque, et qui
éclate de rire. Il se met debout dans la barque et se tape sur les
cuisses.
BLAIREAU
Allez, allez, allez, viens ici, mon toutou, viens ici !...
Plan moyen sur la barque de Parju, qui a presque totalement
sombré. Le chien saute dans l'eau et nage vers Blaireau.
PARJU
Je t'aurai, Blaireau, je t'aurai !
Plan moyen sur Blaireau qui récupère son chien dans l'eau et qui
continue à rire. Le chien aboie.
Retour sur Parju, qui a de l'eau au-dessus de la ceinture, et qui
continue à sombrer.
Retour sur Blaireau, qui fait un grand signe de la main à Parju,
puis le salue militairement
BLAIREAU
Et voilà !
Retour sur Parju qui sombre complètement sous l'eau.
Plan plus éloigné montrant les deux barques, Blaireau debout dans
la sienne avec sa perche en main, et Parju, qui vient de
réapparaître à la surface, son képi à la main.
BLAIREAU
Allez ! A la revoyure, Parju !
Il commence à pousser sa barque vers la rive.
PARJU
Je t'aurai, Blaireau !
BLAIREAU
A la revoyure, Parju !
Parju commence à nager vers la rive en tenant son képi. Blaireau
continue à rire.
FONDU ENCHAÎNÉ
Plan moyen d'une clairière près de l'étang. Les vêtements de Parju
sont étendus sur des branches pour sécher. Panoramique sur Parju,
en maillot de corps et caleçon. Il presse ses vêtements pour les
essorer. Il sautille et se frotte les mains, car il n'a pas très
chaud.
Gros plan sur les pieds nus de Parju qui sautille. Il se plante
une écharde dans un pied.
PARJU (voix off)
Ouille ! Ouille ! Ouille !
Gros plan sur le pantalon de Parju en train de sécher sur la
branche. Il s'élève lentement dans les airs accroché à une ligne
de pêche. La caméra suit l'ascension du pantalon jusqu'à une
fourche de l'arbre, sur laquelle Blaireau est assis, une canne à
pêche rudimentaire à la main. Il attrape le pantalon, le décroche
et le dépose sur une branche voisine. Puis il fait redescendre sa
ligne.
Gros plan sur le visage de Blaireau, concentré sur ce qu'il est en
train de faire. Il serre les lèvres sous l'effort.
Retour sur le plan moyen du haut de l'arbre, vu en légère contre-
plongée. Blaireau vient de « pêcher » la vareuse de Parju. Il la
décroche et la pose sur la branche. Puis il renvoie sa ligne. Il
donne de petits a-coups à la ligne pour qu'elle s'accroche. Et il
remonte les bottes de Parju.
Plan rapproché sur Parju, qui continue à sautiller en se soufflant
sur les mains. Il s'approche de sa chemise, et en essore la
manche. Il se retourne et éternue. Au même moment, la chemise part
dans les airs. Parju se retourne de nouveau et est surpris de ne
plus voir sa chemise.
PARJU
Mais...
Il fait quelques pas dans la clairière, et s'aperçoit que tous ses
vêtements ont disparu.
PARJU
Blaireau !
Rapide plan en contre-plongée sur l'arbre. On voit la tête de
Blaireau apparaître derrière le gros tronc de l'arbre. En
entendant son nom, Blaireau se cache derrière le tronc.
Retour sur Parju au milieu de la clairière.
PARJU
Blaireau ! Blaireau !
Plan général de l'étang, sur lequel le soir commence à tomber.
PARJU (voix off)
Sois pas vache !
L'écho répète : « Sois pas vache... pas vache ».
Fondu au noir.
MONTPAILLARD - PLACE DE L'ÉGLISE - EXTÉRIEUR NUIT
Plan moyen, en légère contre-plongée, d'une partie de la façade de
l'église. L'horloge indique onze heures et demi, et la cloche
sonne la demie.
Plan moyen, en légère plongée, d'un angle de la place. Sur une
façade éclairée par un lampadaire, l'ombre de Parju apparaît.
D'abord la tête avec le képi, puis le reste du corps. Autour de sa
taille, on voit l'ombre d'une sorte de « tutu ». L'ombre inspecte
les alentours, puis avance prudemment.
Plan moyen, vu au niveau de la rue, de la projection de l'ombre
sur le mur. L'ombre avance prudemment et atteint un petit escalier
qui descend vers la place. Le maire descend l'escalier. Il
s'arrête net sur la dernière marche.
MONSIEUR DUBENOÎT
Parju !...
Parju salue le maire.
MONSIEUR DUBENOÎT
Mais qu'est-ce que c'est que cette tenue ?
PARJU
Blaireau, monsieur le maire.
MONSIEUR DUBENOÎT
Bon sang de sacré nom d'un chien !
Parju met son doigt. sur ses lèvres.
PARJU
Chut !
VOIX D'HOMME (voix off)
Ça alors, on peut pas dormir !
Plan en contre-plongée sur les fenêtres du premier étage de la
maison voisine. Des lumières s'allument, et un volet s'ouvre sur
une fenêtre. La silhouette d'un homme apparaît.
VOIX DE FEMME (voix off)
Mais qu'est-ce que c'est que ce raffut ?
L'HOMME À LA FENÊTRE
Cessez ce raffut, quoi !
Plan rapproché sur le maire, qui met un doigt sur ses lèvres.
L'ombre de Parju, elle aussi avec un doigt sur les lèvres, se
rapproche du maire.
MONSIEUR DUBENOÎT
Chut !
On voit - enfin - Parju apparaître en vrai à côté du maire. Il est
en maillot de corps, mais il porte son képi et son baudrier avec
sa plaque. Les deux hommes montent quelques marches de l'escalier,
et on découvre que Parju porte, autour de la taille, une sorte de
pagne de branchages feuillus accrochés à sa ceinture. Les deux
hommes chuchotent. Parju secoue les mains.
PARJU
Oh, je l'ai raté de peu, monsieur le maire.
MONSIEUR DUBENOÎT
Allez vous rhabiller, Parju ! Ouvrez l'oeil. Faites des
rondes, Parju, faites des rondes de jour, faites des rondes
de nuit... de nuit surtout.
PARJU
Je vais commencer par en faire une tout de suite.
MONSIEUR DUBENOÎT
Et ne reparaissez devant moi qu'avec Blaireau menottes aux
mains. Compris ?
PARJU
Oui, monsieur le maire.
MONSIEUR DUBENOÎT
Allez, rompez !
Comme il vient d'élever la voix sur la dernière réplique, il porte
un doigt à ses lèvres.
MONSIEUR DUBENOÎT
Chut !
Fondu enchaîné sur la façade de l'église, dont l'horloge marque
maintenant minuit. On entend la cloche sonner l'heure.
Plan de demi-ensemble sur une maison. Une volée de cinq ou six
marches permet d'accéder à l'entrée de la maison. Parju descend
les marches en ré-ajustant son képi, pendant que la cloche de
l'église continue à sonner l'heure.
CHÂTEAU DE CHAVILLE - CHAMBRE D'ARABELLA - INTÉRIEUR NUIT
Plan moyen sur le lit d'Arabella. Le lit est ouvert, et Arabella
est assise dessus, en chemise de nuit. Elle lit une lettre. On
entend sonner la cloche de l'église.
ARABELLA DE CHAVILLE
« A minuit à côté du pressoir... »
MONTPAILLARD - UNE RUE - EXTÉRIEUR NUIT
Plan moyen sur Armand Fléchard qui sort de son immeuble. Il
regarde rapidement autour de lui, ferme la porte, et se met à
marcher rapidement dans la rue.
CHÂTEAU DE CHAVILLE - GRILLE D'ENTRÉE - EXTÉRIEUR NUIT
Plan moyen de l'entrée de la propriété, vue de l'extérieur. Parju
passe devant la grille, les mains coincées dans son ceinturon.
CHÂTEAU DE CHAVILLE - CHAMBRE D'ARABELLA - INTÉRIEUR NUIT
Même plan d'Arabella sur son lit. Elle semble songeuse. Elle pose
la lettre sur le lit.
ARABELLA DE CHAVILLE
On verra bien.
Elle ramasse sa robe de chambre et l'enfile.
CHÂTEAU DE CHAVILLE - GRILLE D'ENTRÉE - EXTÉRIEUR NUIT
Même plan de la grille d'entrée. Fléchard s'approche lentement de
la grille, puis passe devant.
CHÂTEAU DE CHAVILLE - JARDINS - EXTÉRIEUR NUIT
Plan moyen des jardins. Arabella marche dans le jardin en robe de
chambre. Derrière elle, la présence de deux tonneaux suggère que
l'on doit être près du pressoir. Arabella s'arrête et regarde
autour d'elle.
CHÂTEAU DE CHAVILLE - MUR D'ENCEINTE - EXTÉRIEUR NUIT
Plan moyen sur le mur d'enceinte de la propriété, vu de
l'extérieur. Fléchard est en train de l'escalader. Il se rétablit
debout sur le sommet du mur, puis il saute de l'autre côté. Bruit
de verre brisé.
CHÂTEAU DE CHAVILLE - JARDINS - EXTÉRIEUR NUIT
Plan de demi-ensemble d'une rangée de châssis vitrés alignés le
long du mur. Fléchard vient d'atterrir dans l'un d'eux ! Il
piétine dedans, en émettant un bruit de verre brisé.
Plan rapproché d'Arabella, à moitié caché par des branchages. Elle
a entendu le bruit, et elle semble légèrement inquiète.
CHÂTEAU DE CHAVILLE - MUR D'ENCEINTE - EXTÉRIEUR NUIT
Plan moyen de Parju qui marche le long du mur. Lui aussi a dû
entendre quelque chose, car il s'arrête de marcher.
Retour sur Fléchard, toujours debout, les pieds dans le châssis
brisé. On entend un chien aboyer. Fléchard se retourne, cassant le
châssis voisin.
Retour sur Arabella, la bouche ouverte, de plus en plus inquiète.
Elle se sauve vers la maison.
CHÂTEAU DE CHAVILLE - MUR D'ENCEINTE - EXTÉRIEUR NUIT
Retour sur Parju, qui écoute attentivement. On entend toujours le
chien aboyer.
CHÂTEAU DE CHAVILLE - MUR D'ENCEINTE - EXTÉRIEUR NUIT
Retour sur Fléchard, qui escalade les treillages fixés au mur pour
permettre aux plantes d'y grimper.
CHÂTEAU DE CHAVILLE - MUR D'ENCEINTE - EXTÉRIEUR NUIT
Contrechamp du mur vu de l'extérieur. Fléchard apparaît au sommet
du mur, et se rétablit debout dessus, puis il saute de l'autre
côté. Il disparaît dans la pénombre. Parju arrive en courant.
PARJU
Ah, je te tiens... !
Il se précipite sur Fléchard, que l'on ne voit plus dans la
pénombre. On ne voit plus rien, mais on entend des bruits de
bagarre, puis des geignements. Fléchard apparaît dans la lumière,
tenant quelque chose de brillant à la main. Il se sauve. On entend
Parju continuer à gémir, puis on le voit apparaître en titubant.
Plan rapproché de Parju. Il a un oeil au beurre noir. Il porte la
main à sa poitrine, et baisse les yeux.
PARJU
Ma plaque !
Fondu au noir.
MAIRIE - SALLE DU CONSEIL MUNICIPAL - INTÉRIEUR JOUR
Plan rapproché sur le maire, debout devant le buste de Marianne.
MONSIEUR DUBENOÎT
Monsieur Parju, un garde-champêtre qui perd sa plaque,
c'est comme un régiment auquel on ravit son drapeau.
Léger zoom arrière et panoramique, permettant de découvrir Parju,
assis sur une chaise, l'air abattu, et avec un beau cocard !
PARJU
Oui, monsieur le maire.
MONSIEUR DUBENOÎT
Coffrez-moi Blaireau au plus vite.
PARJU
C'était dans le noir, je pourrais pas jurer que c'était
lui.
MONSIEUR DUBENOÎT
Y a que Blaireau qui a pu faire le coup.
PARJU
Mais je vous dis...
Le maire s'énerve.
MONSIEUR DUBENOÎT
Ah !... Suis-je le maire de Montpaillard... ou si c'est
vous, Parju ?
Parju pointe le doigt sur le maire.
PARJU
C'est vous qui êtes le maire, monsieur le maire.
MONSIEUR DUBENOÎT
Alors, je me charge du reste.
Il se retourne et tourne la manivelle du téléphone posé sur la
table, puis il décroche le combiné.
MONSIEUR DUBENOÎT
Allo ! Prévenez la préfecture. Qu'on m'envoie du renfort.
Il raccroche.
MONTPAILLARD - CIEL - EXTÉRIEUR JOUR
Plan du ciel au-dessus de Montpaillard. Quatre avions de chasse
traversent le ciel, et s'éloignent.
Autre plan, montrant quatre autres avions de chasse, qui
s'éloignent eux aussi.
MONTPAILLARD - UNE RUE - EXTÉRIEUR JOUR
Plan moyen sur le boucher, assis sur sa bicyclette, et autour de
lui, un homme et deux enfants, dont le petit garçon à lunettes qui
accompagnait le juge au concours de pêche. Ils regardent tous en
l'air, pour suivre l'évolution des avions. Après le passage des
avions, l'homme met la mains sur l'épaule du boucher.
L'HOMME
Qu'est-ce qui se passe ?
LE BOUCHER
Ben, y paraît qu'on va arrêter Blaireau.
L'HOMME
Oh ben, y va passer un fichu quart d'heure.
Ils lèvent de nouveau la tête car on entend d'autres avions passer
dans le ciel.
MONTPAILLARD - PLACE DE LA MAIRIE - EXTÉRIEUR JOUR
Plan moyen du maire debout sur le perron de la mairie. Il a coiffé
un béret. En contrebas des marches du perron, on voit les têtes et
les épaules de trois gendarmes. Tous regardent vers le ciel, où on
entend passer d'autres avions.
MONSIEUR DUBENOÎT
Ils font bien les choses à la préfecture.
Il hausse les épaules en faisant une petite moue dubitative.
MONSIEUR DUBENOÎT
Mais enfin, tout de même...
Parju escalade rapidement les marches qui mènent au perron. Il
tape sur le bras du maire, et lui désigne quelque chose dans la
rue.
PARJU
Voilà les renforts, monsieur le maire.
MONSIEUR DUBENOÎT
Ah !
Plan d'ensemble de la rue qui débouche sur la place. On voit
arriver un groupe de gendarmes à bicyclette. La caméra suit la
progression des gendarmes, qui s'arrêtent devant la mairie. Le
responsable du détachement, qui porte les insignes de maréchal-
des-logis-chef (ou sergent-chef), descend de vélo et lève le bras.
SERGENT-CHEF DE GENDARMERIE
Section... halte !
Le maire vient vers eux, suivi de Parju.
MONSIEUR DUBENOÎT
Dites-moi, ils sont avec vous, là ?
Du doigt, il montre le ciel.
SERGENT-CHEF DE GENDARMERIE
Non, monsieur le maire, c'est les grandes manoeuvres.
MONSIEUR DUBENOÎT
Ah, c'est les grandes manoeuvres...
Il se tourne vers Parju.
MONSIEUR DUBENOÎT
... oui, je me disais aussi.
Le maire se recule de deux pas, et se met au garde-à-vous face au
détachement.
MONSIEUR DUBENOÎT
Messieurs...
Tous les gendarmes et Parju se mettent au garde-à-vous.
MONSIEUR DUBENOÎT
... nous attaquerons à onze heures douze, heure locale.
Il se retourne, imité par Parju.
MONSIEUR DUBENOÎT
Allez, en avant !
Il part en marchant au pas, imité par Parju, qui marche à son
côté. Il sortent du champ par la gauche.
SERGENT-CHEF DE GENDARMERIE
En... selle !
Tous les gendarmes enfourchent leurs vélos, et se mettent en route
dans la direction prise par le maire.
MONTPAILLARD - UNE RUE - EXTÉRIEUR JOUR
Plan moyen sur Armand Fléchard, qui sort de chez lui. Il s'avance
au milieu de la rue, et voit, au bout de la rue, arriver la
section de gendarmes à bicyclette. Il détourne la tête et se
frotte nerveusement les mains.
ARMAND FLÉCHARD
Oh la la !
Il se précipite sur sa porte d'entrée, l'ouvre et rentre chez lui.
CHÂTEAU DE CHAVILLE - CHAMBRE D'ARABELLA - INTÉRIEUR JOUR
Plan moyen sur la comtesse de Chaville, en robe de chambre, qui
entre précipitamment dans la chambre de sa fille. En premier plan,
le dos d'un fauteuil.
COMTESSE DE CHAVILLE
Oh, ma petite chérie, tu sais quoi ? Cette nuit, Blaireau a
pénétré dans la propriété, il a cassé les châssis et
assommé le garde-champêtre.
Elle ressort aussi précipitamment qu'elle était entrée. Arabella,
qui était assise dans le fauteuil, se tourne vers la caméra.
ARABELLA DE CHAVILLE
Oh !... C'était Blaireau !
MONTPAILLARD - UN ÉTANG - EXTÉRIEUR JOUR
Plan de demi-ensemble de Blaireau guidant sa barque vers un
ponton, au-dessus duquel sèchent des filets de pêche. Il l'amarre,
puis se lève, et monte sur le ponton. Zoom arrière, permettant de
découvrir, en premier plan, Parju caché derrière un arbre, et qui
observe Blaireau. Le zoom arrière se poursuit, permettant de
découvrir le maire caché derrière un autre arbre. Le maire se
tourne vers Parju et chuchote :
MONSIEUR DUBENOÎT
Parju... Tout est en place ?
PARJU
Oui, monsieur le...
MONSIEUR DUBENOÎT
Parfait. Chut !
Au loin, on voit Blaireau qui remet quelque chose en place à
l'extrémité terrestre du ponton, puis se dirige vers sa cabane. Le
panoramique, qui suit Blaireau, permet de découvrir des gendarmes
cachés derrière les arbres. En arrière plan, on voit Blaireau qui,
arrivé à la porte de sa cabane, se retourne pour ranger quelque
chose. Les gendarmes, qui l'observaient, se re-cachent derrière
leurs arbres. Blaireau, qui était prêt d'ouvrir sa porte, se
retourne de nouveau, pour jeter quelque chose qui se trouvait dans
un grand panier à côté de la porte. Même jeu de scène des
gendarmes. Blaireau est prêt d'ouvrir sa porte, mais il se
retourne de nouveau pour siffler la ritournelle d'appel de son
chien. Même jeu de scène des gendarmes. Aucun aboiement ne répond
à son sifflet. Blaireau ouvre la porte de sa cabane, et entre à
l'intérieur.
CABANE DE BLAIREAU - INTÉRIEUR JOUR
Plan moyen de Blaireau qui, en chantonnant, ouvre une porte de son
armoire à double porte. Il en sort un moulin à café, et se penche
pour ramasser quelque chose qu'il a fait tomber. Alors qu'il est
penché, la tête d'un gendarme apparaît derrière l'autre porte de
l'armoire. Blaireau se relève et le gendarme disparaît. Il ferme
la porte de l'armoire. Il s'assoit à côté de son lit pour moudre
son café.
Gros plan sur le chien, enfermé dans un panier en osier, et avec
la gueule bâillonnée. Le chien essaie de sortir par une ouverture
au-dessus du panier, mais n'y arrive pas.
Retour sur Blaireau en train de moudre son café en chantonnant.
BLAIREAU
Je vais faire un bon petit café.
Il se lève, et va poser le moulin sur la table. Le couvercle du
grand coffre, situé derrière lui, se soulève et trois têtes de
gendarme apparaissent. Blaireau sort le tiroir du moulin et, après
en avoir ôté le couvercle, il verse le café moulu dans la
cafetière.
Gros plan sur le dessus d'un meuble. Lucienne, la pie, a la patte
attachée à un pichet voisin, et un bâillon sur le bec. Avec sa
patte libre, elle essaie d'enlever le bâillon, mais n'y arrive
pas.
Retour sur Blaireau. Derrière lui, les trois têtes de gendarmes
l'observent toujours. Blaireau prend la cafetière et s'éloigne de
la table. Le couvercle du coffre se referme et les gendarmes
disparaissent. Blaireau sent le café et a l'air satisfait de
l'odeur. Il pose la cafetière sur le poêle. Derrière lui, une
trappe se soulève dans le parquet, et deux têtes de gendarme
apparaissent. Blaireau prend une casserole qui était posée sur une
plaque du poêle, et verse l'eau dans la cafetière. Le couvercle du
coffre se soulève et les trois gendarmes apparaissent. La porte de
l'armoire s'ouvre et le gendarme caché dedans apparaît. Blaireau
remet le couvercle sur sa cafetière, la prend et se retourne pour
se diriger vers la table, et tous les gendarmes disparaissent.
Blaireau pose la cafetière sur la table, et derrière lui, les
trois gendarmes apparaissent dans le coffre.
Gros plan sur le chien toujours bâillonné.
Retour sur Blaireau qui verse du café dans une tasse, pendant que
les gendarmes, cachés dans le coffre, l'observe. Blaireau prend sa
tasse, puis un sucre dans la boîte posée sur la table. Le coffre
se referme. Blaireau met le sucre dans son café et le touille avec
une cuillère. Il s'éloigne et les trois gendarmes du coffre
réapparaissent, puis deux autres apparaissent derrière les deux
premiers.
CABANE DE BLAIREAU - EXTÉRIEUR JOUR
Plan moyen sur la porte de la cabane, qui s'ouvre. Blaireau
apparaît touillant son café. Il le boit lentement. D'un seul coup,
de chaque côté de lui, des mains de gendarmes apparaissent et lui
saisissent les bras et les épaules. Blaireau râle et se débat un
peu.
FONDU ENCHAÎNÉ
PALAIS DE JUSTICE - TRIBUNAL - INTÉRIEUR JOUR
Plan d'ensemble de la salle d'audience du tribunal. Au fond le
juge entouré de ses deux assesseurs. A leur gauche, l'avocat
général, puis le box des accusés, dans lequel Blaireau est debout,
entouré de deux gendarmes. Au centre, à la barre, Parju, debout
les deux mains sur la barre. Derrière Parju, les bancs du public.
Blaireau tape des deux mains sur le bord du box devant lui. Pour
la première fois depuis le début du film, il a enlevé son béret et
le tient à la main.
BLAIREAU
Mais ! Pétard de pétard de pétard de pétard ! Je suis
innocent !
LE JUGE LERECHIGNEUX
Calmez-vous, Blaireau.
Il se tourne vers Parju.
LE JUGE LERECHIGNEUX
Parju, reconnaissez-vous cet homme ?
Plan moyen sur Parju en premier plan et Blaireau derrière lui dans
SON BOX
BLAIREAU
Mais il peut pas, pétard de bois !
Parju baisse la tête : il semble ennuyé.
LE JUGE LERECHIGNEUX (voix off)
Silence, Blaireau ! Ah !... Parju, reconnaissez-vous cet
homme ?
Parju lève lentement la tête vers le juge, puis se tourne vers
Blaireau.
Plan moyen sur Arabella, entourée de ses parents, et assis dans le
public. Arabella hoche négativement la tête.
Plan rapproché du visage et des épaules de Fléchard, debout devant
la porte au fond de la salle. La caméra descend le long du corps
de Fléchard, jusqu'au sol, où l'on découvre le chien de Blaireau,
assis aux pieds de Fléchard.
Plan rapproché sur Parju, qui baisse la tête. Assis dans le public
derrière lui, le maire toussote pour attirer l'attention de Parju.
Parju se tourne vers le maire, qui hoche positivement la tête.
Parju se retourne vers le juge.
PARJU
Oui, monsieur le juge.
Le chien aboie.
Plan en enfilade de l'allée centrale entre les bancs du public,
vue au niveau du sol. Le chien remonte l'allée centrale en
aboyant. Travelling arrière sur le chien, qui arrive à la barre,
et continue à aboyer en regardant Parju, dont on voit les pieds
s'éloigner de la barre.
Plan moyen de Parju, qui s'éloigne de la barre. Le juge agite sa
sonnette. Parju continue à marcher à reculons dans le prétoire, en
agitant son képi pour éloigner le chien de lui. Il passe devant
Blaireau, qui éclate de rire. L'un des gendarmes rie aussi.
Plan moyen sur le juge et ses deux assesseurs.
LE JUGE LERECHIGNEUX
Parju ! Parju, voyons !
Plan de demi-ensemble de la zone publique de la salle, avec au
fond Parju, entouré des gendarmes, et le chien qui continue à lui
aboyer dessus.
LE JUGE LERECHIGNEUX (voix off)
Gendarmes, voulez-vous...
Plan moyen sur le box, où Blaireau et l'un des gendarmes
continuent à rire.
Plan moyen sur le juge, qui se lève.
LE JUGE LERECHIGNEUX
Blaireau... appelez votre chien, saperlipopette !
Plan moyen sur Blaireau qui siffle la ritournelle habituelle. Le
chien répond de deux aboiements, puis saute dans le box, puis sur
le banc à côté de son maître. Blaireau le prend dans ses bras.
BLAIREAU
Fini, il se tiendra tranquille, monsieur le président.
Plan rapproché du juge debout, en légère contre-plongée.
LE JUGE LERECHIGNEUX
Blaireau, le garde-champêtre vous ayant formellement
reconnu.
Retour sur Blaireau, debout. A côté de lui, le chien a les deux
pattes avant posé sur le bord du box.
BLAIREAU
Mais il peut pas, j'étais dans mon lit, j'ai un alibi.
Retour sur le juge.
LE JUGE LERECHIGNEUX
Les honnêtes gens n'ont pas besoin d'alibi. Avez-vous un
témoin ?
Retour sur Blaireau.
BLAIREAU
Mais parfaitement. Fous-le-camp, j'étais dans mon lit ?
Il se penche sur le chien, qui le regarde, puis se tourne vers le
juge et aboie une fois. Blaireau rit.
Plan moyen sur la partie droite du public. Au fond, près de la
porte, debout, Armand Féchard, Parju et un gendarme. Au premier
rang du public, près de l'allée, en robe d'avocat et affalée sur
sa serviette posé sur la rambarde devant lui, Maître Guilloche.
LE JUGE LERECHIGNEUX (voix off)
Assez plaisanté. Maître, vous avez la parole.
Guilloche se redresse, puis se lève et se dirige vers le centre du
prétoire.
MAÎTRE GUILLOCHE
Peu de mots suffiront à ma plaidoirie.
Il vient se planter devant Blaireau, toujours debout avec le chien
à ses côtés.
MAÎTRE GUILLOCHE
Indulgence ou pardon, pardon ou indulgence.
BLAIREAU
Très bien.
Il lui donne une violente bourrade sur l'épaule. On entend la
sonnette du juge.
Plan de demi-ensemble du prétoire. Le juge est debout et agite sa
sonnette. Tout le monde se lève, sauf le public. Les juges et
l'avocat général remettent leurs toques sur la tête.
LE JUGE LERECHIGNEUX
Le tribunal, après en avoir délibéré, condamne Blaireau à
un mois de prison.
BLAIREAU
Mais je suis innocent !
Plan rapproché sur le juge debout, vu en légère contre-plongée.
LE JUGE LERECHIGNEUX
Quand bien même vous ne seriez pas coupable, tous vos
méfaits, depuis vingt ans impunis...
Plan moyen sur Blaireau.
BLAIREAU
Des méfaits ?... J'ai fait des méfaits, moi ?
Plan un peu plus éloigné sur le juge, entouré de ses deux
assesseurs, tous les trois debout.
LE JUGE LERECHIGNEUX
Ce n'est pas à moi, mon cher Blaireau, qu'il faut venir en
raconter, à moi qui, depuis vingt ans, vous achète du
gibier quand la chasse est fermée.
Tout le monde rie dans la salle. Le juge regarde ses deux
assesseurs, qui rient eux aussi.
LE JUGE LERECHIGNEUX
Gardes, emmenez le condamné.
Le juge sort lentement. On entend le chien qui aboie et Blaireau
QUI CRIE :
BLAIREAU
Je suis innocent ! Je suis innocent !
Fondu au noir.
MONTPAILLARD - PLACE DEVANT LA PRISON - EXTÉRIEUR JOUR
Plan moyen sur Armand Fléchard, caché derrière un mur. Le mur
forme l'angle de deux rues, et, à droite du mur, on aperçoit, de
l'autre côté de la place, l'entrée de la prison. Le mot « Prison »
est inscrit au fronton de l'imposant portail, et un drapeau
français flotte au-dessus. Zoom arrière permettant de mieux voir
l'entrée de la prison et Fléchard caché derrière le mur. Blaireau
arrive à l'entrée de la prison, portant un petit baluchon, et
accompagné de deux gendarmes. L'un des gendarmes tire le cordon de
la cloche, qui tinte.
UN GARDIEN (voix off)
J'arrive.
Au-dessus du mur d'enceinte de la prison, on voit la silhouette
d'un gardien qui descend d'un étage supérieur. Fléchard sort de sa
cachette, et court vers l'entrée de la prison. Puis, après
quelques pas, il se ravise, s'arrête au milieu de la place et sort
du champ sur la droite. La porte de la prison s'ouvre, et l'un des
gendarmes pousse Blaireau vers l'intérieur. L'autre gendarme le
suit.
PRISON - COUR D'ENTRÉE - EXTÉRIEUR JOUR
Plan de demi-ensemble de la cour d'entrée de la prison. Au premier
plan, Blaireau marche vers le fond de la cour, portant son
baluchon et entouré des deux gendarmes. Il lève et tourne la tête
pour regarder autour de lui. Au fond, un perron surélevé de quatre
marches, et de part et d'autre de ce perron, deux escaliers qui
montent vers l'entrée du bâtiment. Des arbustes masquent ces
escaliers, leur donnant un aspect plutôt coquet pour une prison.
Monsieur Bluette descend l'escalier de droite. Arrivé sur le
perron, il lève les deux bras.
MONSIEUR BLUETTE
Ah !... Le voilà !
Blaireau se retourne vers Bluette, qui arrive vers lui, les mains
tendues.
MONSIEUR BLUETTE
Mon cher Blaireau, ravi de vous connaître. J'ai beaucoup
entendu parler de vous.
Il le prend par l'épaule, puis se tourne vers l'un des gendarmes.
MONSIEUR BLUETTE
C'est bien, brigadier, laissez-nous.
Le brigadier détache les menottes qui maintenaient les mains de
Blaireau attachées ensemble, les récupère et s'éloigne. L'autre
gendarme était déjà sorti du champ.
MONSIEUR BLUETTE
Passez devant, Blaireau.
BLAIREAU
Mais, monsieur le directeur.
MONSIEUR BLUETTE
Je vous en prie, vous êtes ici chez moi, c'est à dire chez
vous.
Il rit. Blaireau lui met la main sur la poitrine, et il s'éloigne
tous les deux vers le perron. Après trois-quatre pas, Blaireau
s'arrête et se tourne vers le directeur.
BLAIREAU
Je suis...
MONSIEUR BLUETTE
Permettez ?
Il lui prend son baluchon.
BLAIREAU
Je suis confus.
MONSIEUR BLUETTE
Je vous en prie, je vous en prie...
Ils reprennent leur marche vers le perron.
MONSIEUR BLUETTE
J'espère, mon cher Blaireau...
Plan moyen de Blaireau et Bluette sur le perron, vus en légère
plongée.
MONSIEUR BLUETTE
... que, pendant ces quelques semaines, que le gouvernement
de la République vous confie à mes soins, nous n'aurons
ensemble que d'excellents rapports.
BLAIREAU
Monsieur le directeur, je suis très facile à vire.
Bluette rit.
MONSIEUR BLUETTE
Bravo !
Il le prend par le bras et ils commencent à monter les marches de
l'escalier de gauche en direction de la caméra.
MONSIEUR BLUETTE
Alors, dites-moi, cher ami, il paraît qu'on a rossé le
garde-champêtre ? Vous savez que c'est très drôle, ça.
Ils s'arrêtent de monter sur la deuxième marche. Blaireau, qui
jusqu'ici, était souriant et affable, s'énerve un peu.
BLAIREAU
Oui, c'est peut-être drôle, mais enfin ce qui est moins
drôle, c'est que je suis innocent.
MONSIEUR BLUETTE
Ah non ! Ah non, Blaireau ! Ne me le faites pas l'erreur
judiciaire, vous cesseriez de m'intéresser.
PRISON - UN COULOIR - INTÉRIEUR JOUR
Vue en enfilade d'un couloir. Au premier plan, un prisonnier, un
pot de peinture d'une main et un pinceau dans l'autre, se prépare
à peindre les barreaux d'une fenêtre. Il s'arrête lorsqu'il entend
chanter dans la cellule voisine.
DÉTENU CHANTEUR (voix off)
Les rendez-vous de noble compagnie...
Le détenu sort de la cellule, portant, lui aussi, un pot de
peinture, et referme la porte. La porte s'ouvre au fond du couloir
et Bluette entre dans le couloir. Le « peintre » accompagne le
chanteur en sifflant.
DÉTENU CHANTEUR
... se donnent tous en ce charmant séjour.
Bluette, qui porte toujours le baluchon de Blaireau, s'efface pour
le laisser passer, puis il referme la porte derrière eux.
DÉTENU CHANTEUR
Et doucement, on y passe la vie. Et doucement...
Les deux détenus se mettent à peindre les barreaux. Bluette arrive
près d'eux avec Blaireau
MONSIEUR BLUETTE
Bonjour, mes petits.
Le détenu chanteur soulève son béret.
DÉTENU CHANTEUR
Monsieur le directeur.
MONSIEUR BLUETTE
Alors, Émile, vos amygdales ?
DÉTENU CHANTEUR
Je me suis gargarisé ce matin, monsieur le directeur.
MONSIEUR BLUETTE
Montrez, pour voir.
Émile ouvre la bouche et Bluette regarde à l'intérieur. Blaireau
se hausse sur la pointe des pieds pour regarder, lui aussi.
DÉTENU CHANTEUR
Ah !...
MONSIEUR BLUETTE
C'est moins enflé, hein, continuez le traitement.
Bluette se tourne vers le détenu siffleur.
MONSIEUR BLUETTE
De bonne nouvelles de votre femme ?
DÉTENU SIFFLEUR
Je vous remercie, monsieur le directeur
MONSIEUR BLUETTE
Alors, tant mieux. Allez, au travail, hein.
Il ricane, prend Blaireau par le bras, et l'entraîne pendant que
les deux détenus reprennent leur travaux de peinture. On entend le
détenu chanter, accompagné par le siffleur, pendant que Bluette
parle à Blaireau.
DÉTENU CHANTEUR (voix off)
Les rendez-vous de noble compagnie...
Il se sont arrêtés devant la porte ouverte d'une cellule, où un
autre détenu est en train d'épousseter une étagère avec un
plumeau.
MONSIEUR BLUETTE
Comme vous voyez, Blaireau, mon système pénitencier est
très simple.
Plan légèrement plus éloigné de Bluette et Blaireau. Blaireau
salue le détenu homme-de-ménage, qui lui rend son salut. Bluette
pousse Blaireau à reprendre leur marche.
MONSIEUR BLUETTE
Je vous en prie... J'occupe mes hommes aux travaux qu'ils
exerçaient avant de mal tourner.
Blaireau claque des doigts.
BLAIREAU
Ah !...
Ils passent devant une cellule, où un homme est occupé à des
travaux de menuiserie.
DÉTENU MENUISIER
Bonjour, monsieur le directeur, bonjour.
Il parle avec un léger accent. Blaireau le salue.
MONSIEUR BLUETTE
Bonjour, Grégory.
Il rie et se tourne vers Blaireau, qui rie aussi.
MONSIEUR BLUETTE
C'est notre petit dernier.
Ils reprennent leur marche et arrive devant une cellule où un
détenu est en train de soigner le pied nu d'un autre détenu. Il
s'arrête pour saluer Bluette.
DÉTENU PÉDICURE
Bonjour, monsieur.
Blaireau le salue. Bluette se tourne vers Blaireau.
MONSIEUR BLUETTE
C'est un excellent pédicure.
Le détenu soigné pousse un cri et sursaute violemment
DÉTENU SOIGNÉ
Ah !...
DÉTENU PÉDICURE
Et ben, voyons.
Bluette se penche vers Blaireau et chuchote :
MONSIEUR BLUETTE
C'était un excellent pédicure.
Ils reprennent leur marche, et s'arrêtent devant une cellule, dans
laquelle un détenu est en train de travailler sur une machine à
coudre. Derrière lui, des costumes sont accrochés au mur.
MONSIEUR BLUETTE
Bonjour, Antoine.
Blaireau salue le détenu.
DÉTENU TAILLEUR
Bonjour, monsieur le directeur.
Bluette se tourne vers Blaireau.
MONSIEUR BLUETTE
C'est notre tailleur...
Il prend Blaireau par le bras, et l'entraîne dans le couloir.
MONSIEUR BLUETTE
Mon cher Blaireau, je n'ai pas grand chose de disponible en
ce moment, mais je vais vous faire visiter, vous choisirez
vous-même.
Blaireau joint les mains.
BLAIREAU
Vous êtes trop aimable, monsieur le directeur.
Bluette rit et ouvre la porte voisine de celle du tailleur.
MONSIEUR BLUETTE
Tenez, tenez, voici le quatorze.
Blaireau entre dans la cellule.
PRISON - CELLULE QUATORZE - INTÉRIEUR JOUR
Plan moyen d'un cellule de prison typique avec juste un lit
métallique et une étagère pour tout mobilier. Bluette entre
derrière lui.
MONSIEUR BLUETTE
Bien exposé, mais c'est un peu chaud en cette saison.
Blaireau inspecte la cellule inondée de soleil.
BLAIREAU
Ah... oui.
Il se penche pour tâter le matelas du lit, dont on entend grincer
les ressorts. Il s'assoit sur le lit, et Bluette pose le baluchon
dessus.
BLAIREAU
Vous n'avez rien de mieux, vous ?
Bluette lui tape sur l'épaule, récupère le baluchon, se redresse,
et ricane.
MONSIEUR BLUETTE
Attendez, j'ai votre affaire.
Il le prend par le bras pour l'aider à se relever. Il l'entraîne
en dehors de la cellule.
PRISON - UN COULOIR - INTÉRIEUR JOUR
Plan rapproché sur la porte de la cellule quatorze, que Bluette
ouvre. Il se tourne vers Blaireau.
MONSIEUR BLUETTE
Le petit quatre.
Il sort, suivi de Blaireau. Panoramique sur le couloir, où Victor,
le gardien-chef, vient d'apparaître. Bluette met la mains sur
l'épaule de Victor.
MONSIEUR BLUETTE
Ah ! Mon cher Blaireau, je vous présente Victor, notre
gardien-chef.
Victor salue Blaireau, puis lui tend la main, que Blaireau serre.
BLAIREAU
Enchanté.
VICTOR
Soyez le bienvenu.
MONSIEUR BLUETTE
Je tiens à ce que vous vous sentiez ici dans une ah...
ah...
Il fait un geste de la main, et réfléchit un peu avant de
continuer. Victor et Blaireau le regardent.
MONSIEUR BLUETTE
Co... comment dirais-je ?... dans une prison de famille.
Blaireau et Victor sourient de cette boutade. Bluette donne le
baluchon de Blaireau à Victor. Il désigne Blaireau du doigt.
MONSIEUR BLUETTE
Victor, Victor, le petit quatre. Hein ?
Il pose la main sur l'épaule de Victor.
MONSIEUR BLUETTE
Mon cher Blaireau, à tout à l'heure, je vous laisse vous
installer.
Il s'éloigne dans le couloir.
BLAIREAU
Merci, monsieur le directeur.
Victor met la main sur l'épaule de Blaireau et l'entraîne avec lui
dans la direction opposée à celle qu'a prise le directeur.
VICTOR
Je voulais vous demander. Le matin, café noir ou café au
lait ?
BLAIREAU
Arrosé.
Fondu enchaîné.
CHÂTEAU DE CHAVILLE - PETIT SALON - INTÉRIEUR JOUR
Plan moyen sur la comtesse de Chaville et le maire en train de
prendre le café, assis sur deux fauteuils de part et d'autre d'une
petite table basse. Derrière eux, on peut, à travers une grande
porte vitrée, voir le comte et sa fille en train de se disputer.
On ne peut entendre ce qu'ils se disent mais on devine que la
discussion est houleuse, surtout lorsque l'on voit le comte saisir
une soupière et la jeter par terre. La comtesse lève un peu la
tête, et le maire réagit à peine.
COMTESSE DE CHAVILLE
C'est comme ça chaque fois qu'il veut la marier.
A travers les vitres, on voit Arabella prendre un plat et le jeter
par terre. Le bruit étant un peu plus fort, le maire sursaute.
MONSIEUR DUBENOÎT
Elle n'a pas l'air de se laisser convaincre.
CHÂTEAU DE CHAVILLE - SALLE À MANGER - INTÉRIEUR JOUR
Contre champ de l'autre côté de la grande porte vitrée. Le comte
et sa fille se font face, l'air aussi en colère l'un que l'autre.
ARABELLA DE CHAVILLE
Tu veux que je me marie ?
LÉON DE CHAVILLE
Oui...
ARABELLA DE CHAVILLE
Le plus vite possible ?
LÉON DE CHAVILLE
Oui.
ARABELLA DE CHAVILLE
Et bien, j'ai trouvé...
Le comte sourit.
LÉON DE CHAVILLE
Ah enfin !
ARABELLA DE CHAVILLE
Un homme qui a fait ses preuves !
Le comte semble de plus en plus satisfait.
LÉON DE CHAVILLE
Parfait !
CHÂTEAU DE CHAVILLE - PETIT SALON - INTÉRIEUR JOUR
Retour sur la comtesse et le maire autour de la table basse. La
comtesse repose sa tasse, et le maire a un verre de Cognac à la
main.
COMTESSE DE CHAVILLE
Elle n'épousera que l'homme de ses rêves, son idéal, son
prince charmant.
Le maire sourit.
MONSIEUR DUBENOÎT
Et ben !
Le comte ouvre vivement la porte de communication à double
battant.
COMTESSE DE CHAVILLE
Hé oui...
LÉON DE CHAVILLE
Elle veut épouser Blaireau !
Le maire, qui était en train de siroter son Cognac, le repose et
se met à tousser, visiblement en manque de souffle. Le comte se
penche et lui tape dans le dos. Le maire prend le bras de la
comtesse.
FONDU ENCHAÎNÉ
PRISON - CELLULE DE BLAIREAU - INTÉRIEUR NUIT
Plan moyen de Blaireau, couché dans son lit... mais toujours avec
son béret sur le crâne ! On entend gémir son chien. Blaireau
tourne la tête vers la fenêtre, puis se redresse dans son lit.
MONTPAILLARD - PLACE DEVANT LA PRISON - EXTÉRIEUR NUIT
Plan rapproché du chien en train de gémir devant la porte de la
prison. Il aboie en remuant la queue.
PRISON - CHAMBRE DE BLUETTE - INTÉRIEUR NUIT
Bluette, en pyjama, est à moitié assis dans son lit. Il est en
train de lire un gros livre intitulé « règlement Intérieur des
Prisons ». Il marmonne tout en faisant des gestes avec sa main. On
entend le chien gémir. Bluette se gratte la tête.
MONSIEUR BLUETTE
Ben non...
Il frappe de la main sur le livre.
MONSIEUR BLUETTE
L'entrée des animaux est interdite dans l'enceinte de la
maison d'arrêt. Ça, je...
Saisi d'une inspiration subite, il attrape la page concernée, et
l'arrache du livre. Il sort de son lit.
MONSIEUR BLUETTE
Je dirai qu'elle était déchirée.
MONTPAILLARD - PLACE DEVANT LA PRISON - EXTÉRIEUR NUIT
Plan un peu plus éloigné du chien devant la porte de la prison. Il
continue à gémir et à grogner. La porte s'ouvre et Bluette,
accroupi, entraîne le chien à l'intérieur.
MONSIEUR BLUETTE
Allez, viens.
Puis il referme la porte.
PRISON - UN COULOIR - INTÉRIEUR NUIT
Gros plan sur le bas de la porte de la cellule de Blaireau. On
voit le bas du pyjama et les chaussons de Bluette, qui ouvre la
porte. Le chien entre dans la cellule. Panoramique ascendant sur
l'intérieur de la cellule et Blaireau, toujours couché dans son
lit. Zoom avant sur Blaireau. Le chien saute sur le lit, et
Blaireau le cajole.
BLAIREAU
Oh, mon toutou ! Oh, je suis content de voir le gros
toutou. Oh, le petit toutou. Oh, le petit toutou.
Il l'embrasse.
Fondu enchaîné.
LOGEMENT FLÉCHARD - CHAMBRE À COUCHER - INTÉRIEUR NUIT
Plan moyen de Fléchard allongé dans son lit, vu de l'un des côtés
du lit. Il dort et il rêve.
ARMAND FLÉCHARD
C'est pas lui ! C'est pas lui !
De l'autre côté du lit de Fléchard, Blaireau apparaît, habillé en
juge, avec même la toque sur le crâne. A côté de lui, apparaît
aussi une table roulante couverte, comme celles que l'on utilise
dans les restaurants pour apporter les plats en salle, tout en les
maintenant au chaud.
ARMAND FLÉCHARD
Oui, monsieur le Président.
Blaireau marmonne des propos incompréhensibles, qui commence par
« Le président... » et qui se terminent par un geste de la main en
travers du cou, signifiant que l'accusé doit avoir la tête
tranchée. A ces mots, Fléchard a un sursaut dans son sommeil, et
pousse un petit cri. Blaireau ouvre le couvercle de la table
roulante.
Gros plan sur la table roulante. Le couvercle bascule, découvrant
la tête souriante de Blaireau, reposant sur un lit de persil.
BLAIREAU
Je suis innocent.
Cette réplique est amplifiée par un léger écho. Blaireau cligne
deux fois des yeux, puis le couvercle se referme sur lui.
Retour au plan précédent. Le juge-Blaireau vient de refermer le
couvercle de la table roulante et ricane. Fléchard se retourne
dans son lit.
ARMAND FLÉCHARD
Oh non, oh non, oh non !
Le juge-Blaireau et la table roulante disparaissent.
ARMAND FLÉCHARD
Arabella !
Blaireau apparaît, cette fois-ci déguisée en vieille paysanne,
avec un fichu sur la tête.
BLAIREAU
Voilà, voilà !
Blaireau se penche sur le lit et Fléchard se retourne en
gémissant.
Fondu enchaîné.
CHÂTEAU DE CHAVILLE - VESTIBULE - INTÉRIEUR JOUR
Gros plan sur une bouteille de vin de Bourgogne, sur l'étiquette
de laquelle est inscrit : « Clos de Chaville - Montpaillard ». A
côté un gros colis enveloppé de papier-cadeau, et sur lequel est
collée une étiquette portant l'inscription : « Secours aux
Détenus ». Zoom arrière permettant de découvrir Arabella, qui met
la bouteille de vin dans le colis. Puis elle referme le colis. Son
père s'approche d'elle et ricane.
LÉON DE CHAVILLE
Hé, qu'est-ce que prépares-tu là, ma petite fille ?
Arabella soulève le colis et se tourne vers son père.
ARABELLA DE CHAVILLE
Le colis de mon fiancé, papa.
Elle s'éloigne dans la pièce. Le comte continue à ricaner, puis
réalise soudain de quoi il s'agit.
LÉON DE CHAVILLE
Quoi ?
Plan de demi-ensemble de la pièce. Arabella marche tranquillement
vers la sortie. Derrière elle, le comte prend un vase sur un
meuble et le jette par terre, où il se brise. Arabella sursaute,
se retourne lentement et donne le colis à son père, qui le prend.
ARABELLA DE CHAVILLE
Tiens, papa.
Puis, tout aussi tranquillement, elle prend délicatement, d'une
main, l'autre vase, semblable au premier, et lui aussi posé sur le
meuble, et le laisse tomber par terre, où il se brise. Puis elle
reprend le colis des mains de son père.
ARABELLA DE CHAVILLE
Merci, papa.
Elle s'éloigne et sort du champ. Le comte prend une pendule, posée
sur une petite étagère au-dessus du meuble, va pour la jeter par
terre, puis se ravise.
LÉON DE CHAVILLE
Non, non...
Il la repose sur son étagère.
LÉON DE CHAVILLE
... pas la pendule.
Il fait deux pas dans la pièce. La pendule, en déséquilibre, tombe
de l'étagère, rebondit sur le bord du meuble et s'écrase par
terre. Le comte se retourne, et la pendule se met à sonner.
LOGEMENT FLÉCHARD - CHAMBRE À COUCHER - INTÉRIEUR JOUR
En continuité avec la sonnerie de la pendule précédente, on entend
sonner la pendule posée sur la cheminée de la chambre.
Plan moyen sur le lit défait. Panoramique sur la gauche. Fléchard
est assis devant la cheminée, à califourchon sur une chaise, et il
lit un gros livre appuyé sur le dossier de la chaise. Zoom avant
sur le visage de Fléchard. Il tourne la page de son livre, et le
soulève, nous permettant de découvrir son titre : « Latude ou
Trente-cinq Ans de Captivité ». Puis il le repose sur le dossier
de la chaise, et tourne une autre page. Il pousse un cri étouffé,
et une expression d'effroi s'affiche sur son visage.
Gros plan sur la page du livre que lit Fléchard. Dans un cachot
sinistre et sordide, le prisonnier Latude est assis sur une sorte
de chaise de torture. Un collier de fer entoure son cou et est
relié, par une chaîne, à un anneau fixé dans le mur derrière la
chaise. Ses mains sont menottés et les menottes sont reliés, par
une chaîne, à un autre anneau fixé dans le mur. Ses pieds aussi
sont entravés et un poids est accroché à l'entrave. Un autre poids
pend de sa taille. A côté de lui, sur un bloc de pierre, sont
posés une cruche et un quignon de pain.
PRISON - CELLULE DE BLAIREAU - INTÉRIEUR JOUR
Plan rapproché de Blaireau, assis sur son lit, et très différent
du prisonnier Latude, que nous venons de voir dans le livre de
Fléchard. Blaireau est en train de boire un verre de vin, et dans
son autre main, il tient une cuisse de poulet coincée entre
l'annulaire et le majeur, et un cigare coincé entre le majeur et
l'index. Il repose le verre sur la table devant lui. Un zoom
arrière permet de découvrir cette table sur laquelle le chien est
assis, et entouré par un assortiment impressionnant de
victuailles : charcuterie, fruit, chocolat, piles de boîtes de
conserve, etc. Blaireau tire une bouffée de son cigare, pose la
cuisse de poulet sur la table, prend quelque chose dans son
assiette et le tend à son chien. Puis il ramasse un morceau de
bristol posé à côté de l'assiette. Il lit ce qui y est inscrit
BLAIREAU
« Ne vous laissez pas abattre. Les secours aux détenus. »
Il repose le bristol sur la table, et se met à chanter.
BLAIREAU
Les rendez-vous de noble compagnie...
Il ramasse la bouteille de vin par terre.
BLAIREAU
... se donnent tous en ce charmant séjour...
Il se ressert un verre. A sa voix, on comprend qu'il a déjà pas
mal bu.
BLAIREAU
... Les rendez-vous de noble compagnie se donnent tous en
ce charmant séjour...
Il repose la bouteille sur la table, et fait une petite mimique à
son chien avant de boire.
FONDU ENCHAÎNÉ
MONTPAILLARD - PLACE DE LA MAIRIE - EXTÉRIEUR JOUR
Plan rapproché de Parju, assis sur les marches de l'un des
escaliers qui mènent au perron de la mairie. Il a l'air triste. La
porte de la mairie s'ouvre derrière lui. Zoom arrière permettant
de découvrir le maire qui sort de sa mairie.
MONSIEUR DUBENOÎT
Alors, Parju...
A la voix du maire, Parju se lève.
MONSIEUR DUBENOÎT
... quoi de neuf ?
PARJU
Rien, monsieur le maire. Plus rien.
MONSIEUR DUBENOÎT
Vous avez l'air de vous ennuyer, vous, mon bon Parju.
PARJU
Un peu, monsieur le maire.
Le maire tend le doigt vers lui.
MONSIEUR DUBENOÎT
Ah ! Blaireau vous manque, hein ?
Il ricane, lui donne une tape sur l'épaule, et descend les
marches. Parju le regarde partir, pose le coude sur la rambarde,
et appuie son visage sur sa main. Il soupire.
MONTPAILLARD - PLACE DE L'ÉGLISE - EXTÉRIEUR JOUR
Plan moyen du maire et de Guilloche se croisant sur la place
devant l'église. Le maire s'arrête et se retourne vers Guilloche,
qui en fait autant.
MONSIEUR DUBENOÎT
Alors, maître Guilloche ? Fini, le Blaireau.
MAÎTRE GUILLOCHE
Bravo, monsieur le maire.
MONSIEUR DUBENOÎT
La ville n'a jamais été aussi calme.
MAÎTRE GUILLOCHE
Un vrai banc de mollusques.
MONSIEUR DUBENOÎT
Parfait, c'est comme ça que je l'aime.
Ils se retournent ensemble et reprennent leurs chemins, chacun
dans une direction opposée à l'autre.
Fondu enchaîné.
MONTPAILLARD - RESTAURANT - EXTÉRIEUR JOUR
Plan moyen du restaurateur, debout devant l'entrée de son
établissement. Derrière lui, son serveur, est assis sur les
marches de l'escalier, son plateau à la main. Dubenoît entre dans
le champ par la droite, derrière le dos du restaurateur.
MONSIEUR DUBENOÎT
Alors, monsieur Letellier, comment vont les affaires ?
Le restaurateur se tourne vers lui.
LE RESTAURATEUR
Calmes. Très calmes.
MONSIEUR DUBENOÎT
Parfait, parfait, parfait.
Il s'éloigne et sort du champ par la gauche. Le restaurateur
croise les bras et le regarde partir avec un regard noir. Un
client, assis à une table à côté de l'escalier, l'appelle.
LE CLIENT
Chef !
LE RESTAURATEUR
Ouais...
Le restaurateur, les bras toujours croisé, s'approche lentement de
la table.
Plan moyen sur la table. Le client, un monsieur élégant, consulte
la carte en souriant. A côté de lui, une jolie femme blonde est
assise, et une femme brune est assise en face de lui.
LE CLIENT
Alors chef... Trois écrevisses à la nage.
Le restaurateur est arrivé à côté de la table et se croise les
mains dans le dos. Il lui répond sur un ton désabusé.
LE RESTAURATEUR
Plus d'écrevisse, monsieur.
LE CLIENT
Ah ?... Alors, terrine de lièvre pour tout le monde.
Le client regarde ses deux compagnes avec un sourire enjoué.
LE RESTAURATEUR
Plus de lièvre, monsieur.
Le client lève un regard interrogateur vers le restaurateur, et
reprend sa lecture.
LE CLIENT
Ah ?...
Il tape sur la carte, et affiche un sourire gourmand.
LE CLIENT
Oh !... Des bécasses flambées.
LE RESTAURATEUR
Plus de bécasses flambées, monsieur...
Le client se tourne vers lui, avec un regard nettement inquiet.
LE RESTAURATEUR
... plus rien... plus rien depuis huit jours, depuis que...
Il fait un signe de la main vers une destination indéfinissable,
puis un autre signe de la main, qui signifie que l'on a fermé un
verrou à clef.
PRISON - CELLULE DE BLAIREAU - INTÉRIEUR JOUR
Plan rapproché de Blaireau, assis contre la porte de sa cellule et
fumant son cigare. On frappe à la porte. Blaireau tourne la tête.
BLAIREAU
Oui ?
Il ouvre le petit volet fixé sur la porte. Le visage souriant de
Bluette apparaît derrière les barreaux. Blaireau semble ravi.
BLAIREAU
Oh !... Monsieur Bluette.
MONSIEUR BLUETTE
Je ne vous dérange pas ?
BLAIREAU
Oh non. Attendez...
Il fouille dans la poche intérieure de sa veste, et en sort un
cigare.
BLAIREAU
Tenez, un petit cigare.
MONSIEUR BLUETTE
Volontiers.
Il prend le cigare, le regarde, et fait une petite mimique
admirative.
MONSIEUR BLUETTE
Oh !... Dites-moi, Blaireau, on vous soigne.
BLAIREAU
Ben, dites, c'est bien normal, je suis innocent.
MONSIEUR BLUETTE
Allons, allons, allons, allons... parlons de choses
sérieuses. Dites-moi, hein ?
Bluette prend les barreaux de la lucarne à deux mains
MONSIEUR BLUETTE
Que faisiez-vous avant votre condamnation ?
Blaireau a un petit sourire narquois.
BLAIREAU
Je bricolais.
MONSIEUR BLUETTE
Ah ? Et bien, parfait, vous continuerez. Dans une prison,
il y a toujours de quoi occuper un homme qui bricole.
Il ouvre la porte
MONSIEUR BLUETTE
Suivez-moi, Blaireau, allons, venez.
Blaireau sort de sa cellule.
PRISON - JARDIN - EXTÉRIEUR JOUR
Plan en enfilade d'une allée du jardin. D'un côté, un mur couvert
de plantes grimpantes. De l'autre, de grandes plantations. Un
détenu se faufile entre les plantations, un arrosoir à la main. Un
autre ratisse l'allée. Un troisième arrive du fond de l'allée,
portant deux cloches à citrouille. Zoom avant sur ce dernier
détenu. Bluette entre par une porte dans le mur.
LE DÉTENU AUX CLOCHES
Bonjour, monsieur le directeur.
L'autre détenu salue Bluette. Blaireau entre par la porte dans le
mur.
MONSIEUR BLUETTE
Bonjour, mes enfants.
LE DÉTENU AU RATEAU
Bonjour, monsieur le directeur.
Bluette fait signe à Blaireau de le suivre vers l'intérieur du
jardin. La caméra les suit.
MONSIEUR BLUETTE
Venez, mon bon Blaireau.
Ils arrivent sur un petit pont de bois. Bluette s'arrête sur le
pont, et s'appuie des deux mains sur la rambarde.
MONSIEUR BLUETTE
Alors, hein ?
Blaireau ricane et se penche par-dessus la rambarde du pont.
Plan rapproché de Bluette et Blaireau, vus de dos, avec la petite
rivière en contrebas. Blaireau se redresse et se tourne vers
Bluette.
BLAIREAU
Monsieur Bluette, vous aimez les écrevisses ?
Bluette rit.
MONSIEUR BLUETTE
Oh ! Oh-oh-oh ! Si je les aime ?
BLAIREAU
Je bricole ?
MONSIEUR BLUETTE
Bricolez, mon ami, bricolez.
Blaireau se retrousse les manches.
FONDU ENCHAÎNÉ
PRISON - RÉFECTOIRE - INTÉRIEUR JOUR
Gros plan d'un plat débordant d'écrevisses, trônant au milieu de
la table. Autour du plat, les assiettes et les gobelets
métalliques des détenus. On entend les détenus frapper avec leurs
cuillères sur leurs assiettes. Des mains se tendent et ramassent
le plat d'écrevisses. Zoom arrière montrant les détenus qui se
servent à pleines mains dans le plat. En bout de table, Blaireau
agite les bras, heureux de faire plaisir à ses co-détenus. Le
détenu chanteur arrive près de la table et se sert dans le plat,
puis vient s'assoir à sa place, en bout de table en face de
Blaireau. Dans le fond de la pièce, on voit Victor, le gardien-
chef, qui descend l'escalier, un colis dans les bras.
BLAIREAU
Hé, et moi ?
Victor s'approche de Blaireau.
VICTOR
Blaireau !
Blaireau se retourne
BLAIREAU
Hein ?
Victor lui tend le colis.
VICTOR
Et ben, c'est pour toi.
Plan moyen sur Blaireau qui prend le colis en riant.
BLAIREAU
Encore ?
Il éclate de rire.
BLAIREAU
Un par jour ?
Le détenu, voisin de Blaireau, tape sur le colis. Il s'agit du
détenu (mauvais) pédicure, que nous avons déjà vu précédemment
DÉTENU PÉDICURE
Le secours au détenus fait bien les choses.
On entend sonner le cloche de la porte d'entrée.
VICTOR
Oh, y a plus moyen, alors !
Il sort du réfectoire. Blaireau prend la carte collée sur le
colis.
BLAIREAU
« L'étoile... » Quoi ? « L'étoile au ver de terre » ?
Il ricane, puis sent la carte. Il ferme les yeux.
BLAIREAU
Hmmm !...
Il la fait sentir au détenu pédicure. Celui-ci affiche un large
sourire.
DÉTENU PÉDICURE
Oh !...
Le détenu, assis de l'autre côté de Blaireau, se penche vers la
carte. Blaireau range la carte dans sa poche, et regarde le détenu
d'un air froid.
BLAIREAU
Non.
PRISON - COUR D'ENTRÉE - EXTÉRIEUR JOUR
Plan rapproché sur Victor, qui ouvre la porte de la prison.
Fléchard apparaît, un colis à la main. Il propulse le colis dans
les mains de Victor.
ARMAND FLÉCHARD
Pour monsieur Blaireau.
Il se retourne et se sauve en courant. Victor regarde le colis.
VICTOR
Et ben !
Il referme la porte.
PRISON - RÉFECTOIRE - INTÉRIEUR JOUR
Plan de demi-ensemble de la table du réfectoire, avec Blaireau, en
bout de table, qui sort les victuailles du colis, salué par un
« Oh ! » général. Il tend les boîtes à son voisin de table, puis
sort un autre paquet, qu'il jette à un détenu, toujours sous les
« Oh ! » d'admiration de la table. Il sort une bouteille de vin,
et le « Oh ! » est encore plus admiratif ! Derrière Blaierau, on
voit Victor, qui descend l'escalier, tenant le colis de Fléchard
dans les mains. Blaireau sort un sachet du colis. Victor
s'approche de Blaireau.
VICTOR
Blaireau !
Blaireau se retourne.
BLAIREAU
Hein ?
VICTOR
Encore un paquet pour toi.
BLAIREAU
Deux par jour ?
Il prend le colis et éclate de rire en compagnie de tous les
détenus qui rient avec lui. Blaireau lit l'inscription sur le
colis.
BLAIREAU
« Protection de l'innocence ». Et bien, vous voyez bien que
je suis innocent ?
Tous les détenus éclatent de rire.
Contrechamp. A l'autre extrémité de la table, le détenu chanteur
se lève.
DÉTENU CHANTEUR
Et bien, tu sais, nous aussi.
Ils éclatent tous de rire. Puis, d'un seul coup, le détenu
chanteur redevient sérieux et croise les bras en regardant
Blaireau.
DÉTENU CHANTEUR
Oh la la !
Tous les détenus tournent la tête vers Blaireau et pousse un
« Oh ! » de surprise. Le détenu siffleur se met à siffler, imité
par d'autres détenus.
Contrechamp sur Blaireau, qui vient d'extraire du colis une
superbe robe de chambre en soie. Blaireau se lève, et se met
debout sur sa chaise avec le vêtement plaqué contre lui, sous les
sifflets des détenus.
UN DÉTENU
Et ben, dis donc.
UN AUTRE DÉTENU
Ouh la la !
FONDU ENCHAÎNÉ
PRISON - CELLULE DE BLAIREAU - INTÉRIEUR JOUR
Plan moyen de la cellule. Le détenu pédicure est assis sur une
chaise avec le chien sur les genoux. Blaireau, portant la belle
robe de chambre offerte par Fléchard, marche de long en large dans
la cellule.
DÉTENU PÉDICURE
Dis-y, dis-y, que je te dis.
BLAIREAU
Non.
DÉTENU PÉDICURE
C'est un pote, le père Bluette.
BLAIREAU
Non, je ne peux pas lui demander ça.
DÉTENU PÉDICURE
Il l'a fait pour un gars qui était à la communion de sa
fille.
Zoom arrière. On s'aperçoit que la caméra est située derrière la
lucarne de visite, ménagée dans la porte de la cellule.
PRISON - UN COULOIR - INTÉRIEUR JOUR
Le zoom arrière se termine en plan rapproché sur Bluette, qui
écoutait la conversation derrière la porte de la cellule de
Blaireau.
MONSIEUR BLUETTE
Mais qu'est-ce qu'il se passe, mon bon Blaireau ?
DÉTENU PÉDICURE
Dis-y, allez !
Il se lève et Blaireau se dirige vers la porte.
BLAIREAU
Monsieur Bluette, euh... ce soir, c'est la nouvelle lune.
MONSIEUR BLUETTE
Alors ?
BLAIREAU
Alors, j'ai trois cents collets de posés, et, avec ce
temps-là, ce serait du gâteau.
MONSIEUR BLUETTE
Oh-oh, oh !... Je vous vois venir, vous. Non, Blaireau...
non !
Il s'adosse à la porte, les bras croisés. Blaireau se met à gémir
doucement, et fait une mimique de petit garçon qui essaie
d'adoucir sa mère pour obtenir une faveur.
FONDU ENCHAÎNÉ
PRISON - COUR D'ENTRÉE - EXTÉRIEUR NUIT
Plan moyen sur Blaireau et Bluette, debout derrière la porte
d'entrée de la prison. Blaireau est en train de finir de
s'habiller.
MONSIEUR BLUETTE
Mais vous serez rentré à minuit, hein ? C'est juré ?
Blaireau jette un regard rapide autour de lui, puis revient vers
Bluette.
BLAIREAU
Monsieur Bluette, c'est juré.
Bluette met un doigt sur ses lèvres, jette un regard aux
alentours, puis ouvre la porte pour laisser sortir Blaireau. Alors
que Blaireau est déjà dehors, il le rattrape par le bras.
MONSIEUR BLUETTE
Blaireau... Blaireau... Vous voulez pas m'emmener avec
vous ?
BLAIREAU
Mais... Mais, monsieur Bluette, soyons sérieux !
Bluette ricane bêtement et se frotte les mains.
MONSIEUR BLUETTE
Ça me ferait tellement plaisir.
Blaireau jette un autre regard autour de lui.
BLAIREAU
Je ne devrais pas...
Il fait signe qu'il accepte et sort. Bluette sort derrière lui et
claque la porte.
Rapide fondu au noir
MONTPAILLARD - FORÊT - EXTÉRIEUR NUIT
Plan de demi-ensemble dans la forêt. En premier plan, deux gros
arbres. Derrière les arbres, on distingue les silhouettes de
Bluette et Blaireau. Blaireau, avec Bluette qui le suit,
s'approche et passe entre les deux arbres, puis il se penche et
ramasse un lièvre en chuchotant :
BLAIREAU
Regardez.
Bluette s'exclame à haute voix :
MONSIEUR BLUETTE
Oh, oh... C'est merveilleux.
Ils se relèvent tous les deux, et on s'aperçoit que Bluette tient
déjà un lièvre dans chaque main. Blaireau lui fait signe de se
taire.
BLAIREAU
Chut !... Chut !
Il lui donne une tape sur le bras. Bluette met un doigt sur ses
lèvres. Blaireau s'éloigne doucement en observant la forêt
alentour. Puis il désigne une direction du doigt
BLAIREAU
Là !
Plan de demi-ensemble sur une autre section de la forêt. Au
premier plan, deux arbres. La tête de Blaireau sort de derrière un
arbre. Il fait un signe et la tête de Bluette sort de derrière
l'autre arbre. Encore une fois, il ne peut se retenir de parler à
haute voix.
MONSIEUR BLUETTE
Oh !...
Blaireau lui fait signe, de la main, de fermer sa bouche.
Gros plan sur un faisan qui entre dans un piège, formé par une
cage rudimentaire sans fond, et maintenue en position semi-levée
par un petit bâton. Une ficelle est attachée au bâton.
Contrechamp sur les deux arbres, derrière lesquels Bluette et
Blaireau sont cachés. Blaireau mime, en chuchotant, la suite de
l'action. Puis il ramasse l'extrémité de la ficelle reliée au
bâton, et la tend à Bluette.
Plan de demi-ensemble, avec le piège en premier plan, et, en
arrière-plan, les deux arbres derrière lesquels Bluette et
Blaireau sont cachés. Bluette tire un coup sec sur la ficelle, le
bâton tombe, le piège aussi, et le faisan se retrouve enfermé.
Blaireau s'approche en ricanant, suivi de Bluette. Il plonge la
main dans l'ouverture ménagée au sommet du piège, pour attraper le
faisan.
MONSIEUR BLUETTE
Oh, la belle bête.
De nouveau il a parlé un peu fort et Blaireau lui fait signe de se
taire, en lui donnant des tapes.
BLAIREAU
Chut !
Plan en enfilade d'un chemin, sur lequel marche Parju, se
dirigeant vers la caméra. Au premier plan, une pancarte indique
« Chasse Gardée ». Parju donne un coup de pied désabusé dans un
morceau de bois qui traîne par terre. Il s'arrête en entendant une
VOIX
MONSIEUR BLUETTE (voix off)
Oh !... Oh !... C'est merveilleux.
BLAIREAU (voix off)
Chut !
Parju écarquille les yeux.
Plan de demi-ensemble d'un section un peu clairsemée de la forêt.
Au milieu des arbres, on distingue les silhouettes de Blaireau et
Bluette, leur gibier dans les mains. Zoom avant sur les deux
hommes, qui improvisent une danse au milieu des arbres, en agitant
leur gibier.
Retour sur Parju, qui a toujours les yeux écarquillés. Il referme
ses paupières et se cache les yeux avec la main. Il marque un
temps, puis écarte deux doigts et entr'ouvre un oeil.
Retour sur l'endroit où Bluette et Blaireau étaient en train de
danser quelques secondes auparavant. Il n'y a plus personne. Un
zoom arrière permet de constater que toute la forêt alentour est
vide.
Retour sur Parju, qui affiche une expression de malaise flagrant.
PARJU
Oh !...
Il se masse le ventre.
PARJU
Oh !... Ça va plus... Ça va plus du tout.
Il se retourne pour repartir dans la direction d'où il était
arrivé.
PARJU
Oh !...
Il s'éloigne en titubant.
FONDU ENCHAÎNÉ
LOGEMENT DE PARJU - CHAMBRE À COUCHER - INTÉRIEUR NUIT
Plan moyen de Parju couché dans son lit, avec une bouillotte sur
le crâne et un thermomètre dans la bouche. Il tient un bol dans
les mains. Il retire le thermomètre de sa bouche et touille le
contenu de son bol avec.
PARJU
J'ai des visions.
Zoom avant sur Parju. Il sort le thermomètre du bol et le regarde.
Il écarquille les yeux et affiche une mimique effrayée en voyant
le chiffre sur le thermomètre.
PARJU
Quarante-six !
MONTPAILLARD - PLACE DEVANT LA PRISON - EXTÉRIEUR JOUR
Plan moyen de la place devant la prison. Blaireau et Bluette
marchent vers la prison, portant leur gibier. La caméra les suit
jusqu'à la porte de la prison. Bluette donne une partie de son
gibier à Blaireau, pour pouvoir se libérer une main et prendre la
clef dans sa poche. Bluette montre le gibier et ricane doucement.
BLAIREAU
Chut !
Bluette met un doigt sur ses lèvres, et fouille dans la poche de
son pantalon. Il passe le faisan, qu'il tient toujours d'une main,
dans l'autre main pour fouiller dans l'autre poche. Puis il tapote
sur toutes les poches de sa veste.
MONSIEUR BLUETTE
Tiens... Ça alors !
BLAIREAU
Vous n'allez pas me dire que ?...
MONSIEUR BLUETTE
Si.
BLAIREAU
Oh, non-non-non, monsieur Bluette, non, non-non-non !
MONSIEUR BLUETTE
Chut !...
Il fait signe à Blaireau de se taire, car il vient d'apercevoir
quelqu'un. Il pousse Blaireau à s'accroupir dans un coin sombre de
l'encoignure du porche de la prison, et se positionne devant lui.
On entend siffler. Bluette cache le faisan derrière son dos.
Gros plan sur le visage de Blaireau, accroupi et caché derrière
Bluette, et qui, malheureusement, a la queue du faisan, tenu par
Bluette, qui lui arrive juste au niveau du nez.
Plan moyen sur le maire, qui arrive en sifflotant, les mains dans
les poches. Il s'arrête en voyant Bluette.
MONSIEUR DUBENOÎT
Tiens, bonsoir, Bluette.
Il lui tend la main. Bluette serre la main tendue.
MONSIEUR BLUETTE
Bonsoir, monsieur le maire.
MONSIEUR DUBENOÎT
Alors ? J'espère que vous l'avez maté, ce sacré Blaireau,
là, hein ?
MONSIEUR BLUETTE
Oh la la... Pensez si je...
Gros plan sur le visage de Blaireau, dont la plume du faisan
chatouille toujours le nez. Blaireau se tortille des narines pour
essayer de ne pas éternuer.
MONSIEUR DUBENOÎT (voix off)
Ne l'oubliez jamais que la tranquillité de Montpaillard est
entre vos mains.
Retour sur Bluette et le maire.
MONSIEUR BLUETTE
Oh la la... Monsieur le maire, vous me connaissez hein ?
Il montre sa main au maire.
MONSIEUR BLUETTE
Une main de... dans un gant de...
MONSIEUR DUBENOÎT
Exactement. Il ne s'agit pas de traiter ce gaillard-là en
passager de première classe.
Le maire ricane de sa propre boutade.
MONSIEUR BLUETTE
Oh la !... Oh la la... Pensez que je lui mène la vie dure.
Gros plan sur le visage de Blaireau, qui essaie toujours de
s'empêcher d'éternuer.
MONSIEUR DUBENOÎT (voix off)
Bonsoir, Bluette.
MONSIEUR BLUETTE (voix off)
Au revoir, monsieur le maire.
Blaireau éternue.
Retour sur Bluette et le maire. Le maire s'éloigne de Bluette, et
entendant l'éternuement, se retourne.
MONSIEUR DUBENOÎT
A vos souhaits.
Bluette porte la main à son nez. Le maire rit.
MONSIEUR BLUETTE
Merci, monsieur le maire.
Le maire s'éloigne. Blaireau sort de sa cachette. Bluette soupire.
BLAIREAU
Bon, c'est pas le tout, il faut rentrer.
MONSIEUR BLUETTE
Oui, allons-y.
Blaireau donne une partie de son gibier à Bluette. De leurs mains
libres, ils se mettent tous les deux à frapper sur la porte.
Plan moyen rapide sur l'extrémité de la place, où l'on voit
apparaître Victor.
Retour sur Bluette et Blaireau, devant la porte de la prison.
BLAIREAU CHUCHOTE
BLAIREAU
Attention !
MONSIEUR BLUETTE
Qu'est-ce que c'est ?
Bluette et Blaireau se cachent dans l'encoignure du porche.
Plan moyen sur Victor debout près du mur de la prison. Il fait un
signe à quelqu'un et l'on voit apparaître un détenu, qui vient se
ranger le long du mur à côté de Victor. Puis un autre détenu
apparaît, puis un autre... en fait l'ensemble des détenus de la
prison de Montpaillard, qui se rangent le long du mur derrière
Victor. Avec d'infinies précautions, il marchent vers la porte de
la prison. Victor regarde les détenus et met un doigt sur ses
lèvres. La caméra suit Victor jusqu'à la porte de la prison. Il
passe devant Bluette caché sans le voir, pas plus d'ailleurs que
les détenus, qui ne songent qu'à regarder vers la rue, et non pas
vers l'encoignure du porche. Après le passage du deuxième détenu,
Bluette sort de sa cachette.
MONSIEUR BLUETTE
Et bien, Victor ?
Les détenus sursautent.
Plan rapproché sur Victor devant la porte de la prison, entouré de
deux détenus. La stupeur s'affiche sur son visage.
VICTOR
Monsieur le directeur !
Il porte la main à sa casquette pour saluer.
VICTOR
Bonsoir, monsieur le directeur.
Bluette s'approche de lui.
MONSIEUR BLUETTE
Mais qu'est-ce que ça signifie ?
VICTOR
Je me suis permis de les emmener au cinéma.
MONSIEUR BLUETTE
Mais... Mais... vous êtes fou ?
VICTOR
Ah mais on est rentré dans le noir.
MONSIEUR BLUETTE
Ah bon ! Oui, bon... Enfin, c'est pas tout ça... Ouvrez-
nous.
VICTOR
Mais oui, monsieur le directeur.
Victor fouille dans la poche de sa veste. Puis il tapote sur
toutes les autres poches de sa veste.
VICTOR
Et ben, ça alors...
MONSIEUR BLUETTE
Co... Vous n'allez pas me dire que...
VICTOR
Si.
Il hoche la tête.
MONSIEUR BLUETTE
Ah non ! Ah non ! Non...
Par acquit de conscience, Victor tâte une nouvelle fois toutes ses
poches.
VICTOR
Heureusement que vous avez la vôtre, monsieur le directeur.
Bluette tourne la tête et soupire.
MONSIEUR BLUETTE
Et bien, justement, euh...
Le détenu pédicure s'approche d'eux en souriant.
DÉTENU PÉDICURE
Vous permettez ?
Il déplie son couteau, puis se penche vers la porte.
MONSIEUR BLUETTE
Eh ?...
On entend un léger déclic et le détenu ouvre la porte. Il regarde
le directeur avec un large sourire sur les lèvres. Bluette lui
envoie un baiser avec la main.
MONSIEUR BLUETTE
Bravo !
Le détenu prend une posture de modestie.
DÉTENU PÉDICURE
Oh... c'est du bricolage.
Bluette fait signe aux détenus d'entrer en prison, Blaireau le
premier. Victor en fait de même.
MONSIEUR BLUETTE
Allez... allez...
Les derniers détenus entrent dans la prison. Bluette sourit et
tape sur l'épaule de Victor
MONSIEUR BLUETTE
Dites-moi... Qu'est-ce que vous avez vu au cinéma ?
VICTOR
Arsène Lupin. Pensez s'ils étaient contents.
Bluette rit, change son gibier de main et pousse Victor vers
l'entrée de la prison.
Fondu au noir.
LOGEMENT DE PARJU - CHAMBRE À COUCHER - INTÉRIEUR JOUR
Plan moyen de Parju assis, en pyjama, dans son lit. Le docteur,
stéthoscope autour du cou, est debout à côté du lit. Parju a la
bouche ouverte, et le docteur lui donne une tape sur le menton.
Parju ferme la bouche.
LE DOCTEUR
Oh, mais ça va beaucoup mieux.
Il ôte le stéthoscope de son cou.
LE DOCTEUR
Voyez, je vous l'avais bien dit : trois semaines de diète.
Parju se masse le ventre.
PARJU
Je mangerai bien un morceau, docteur.
LE DOCTEUR
Ah ben, de la viande rouge. Maintenant il faut vous
fortifier. Blaireau sort de prison demain.
Il range son stéthoscope dans sa sacoche.
PARJU
Blaireau ?
Le médecin ricane.
LE DOCTEUR
Oh, si ça peut vous consoler, il est aussi malade que vous.
PRISON - CELLULE DE BLAIREAU - INTÉRIEUR JOUR
Plan moyen de Blaireau et du détenu pédicure, assis sur le lit de
Blaireau. Autour d'eux, sur la table, sur toutes les étagères,
partout, des victuailles sont empilées. Le pédicure se tient le
ventre. Il ne semble pas se sentir très bien.
DÉTENU PÉDICURE
Comment ça va, Blaireau ?
BLAIREAU
Off !.. Oh, le foie...
Blaireau semble, lui aussi, ne pas être en très bonne forme. Il
fait un grand geste des deux mains pour décrire la taille de son
foie.
BLAIREAU
... énorme !
DÉTENU PÉDICURE
Moi, c'est...
Il a un hoquet, et se tapote sur le ventre
DÉTENU PÉDICURE
... l'estomac.
BLAIREAU
Ah !... Heureusement que je sors demain.
Ils se lèvent tous les deux pour se trouver « nez à nez » avec les
jambons et les saucissons qui pendent du plafond.
BLAIREAU
Oh non... oh non... oh non !...
Le pédicure sort de la cellule en se tenant le ventre.
MONTPAILLARD - UNE RUE - EXTÉRIEUR JOUR
Travelling arrière sur la moto d'Arabella, qui roule au milieu de
la rue. Arabella est souriante et ne porte pas de casque. Un colis
est posé sur le guidon de sa moto.
Une autre rue voisine de la première. Travelling arrière sur le
Solex de Fléchard, qui roule au milieu de la rue, avec, lui aussi,
un colis posé sur son guidon.
Plan d'ensemble du croisement des deux rues. La rue d'Arabella est
en pente vers le croisement, la rue de Fléchard en montée vers le
croisement. Dans les deux rues, on voit arriver les deux
véhicules, qui se rencontrent sur le croisement. On entend des
crissements de pneus et les deux véhicules se percutent.
Zoom avant rapide et gros plan sur la pancarte fixée sur un poteau
juste derrière eux. Il y est inscrit : « Les Freins peuvent
lâcher, l'Assurance Tient ». On entend chuter les deux
protagonistes.
Plan moyen sur Arabella et Fléchard, assis au milieu de la rue,
avec leur deux-roues couchés sur la chaussée. Dans la chute, le
colis d'Arabella s'est ouvert, laissant échapper des pommes, une
bouteille et des boîtes de conserve. En voulant se relever
ensemble, les deux jeunes gens se cognent la tête. Toujours assis
par terre donc, Fléchard regarde le colis ouvert d'Arabella, et
Arabella l'étiquette sur le colis de Fléchnard. Ils tournent la
tête l'un vers l'autre. Fléchard pointe le doigt vers Arabella.
ARMAND FLÉCHARD & ARABELLA DE CHAVILLE (ensemble)
Vous envoyez des colis à Blaireau ?
ARMAND FLÉCHARD
Pourquoi ?
Ils se relèvent tous les deux ensemble.
ARABELLA DE CHAVILLE
C'est mon secret.
Fléchard lui prend le bras.
ARMAND FLÉCHARD
Arabella, je veux la vérité.
ARABELLA DE CHAVILLE
Vous êtes ivre, monsieur Fléchard.
Elle se libère de son emprise, s'éloigne de lui et sort du champ.
ARMAND FLÉCHARD
Mais... mais... Arabella... Mademoiselle ! Mais enfin,
je... mais...
On entend la moto d'Arabella qui redémarre.
Plan en enfilade de la rue, dans laquelle Arabella vient de
s'engager, avec la place dans le fond. Arabella a enfourché sa
moto, et Fléchard est toujours debout devant son Solex couché par
terre. Arabella démarre et vient vers la caméra, pendant que
Fléchard ramasse son Solex. Les deux colis, eux, sont restés par
terre au milieu de la place. Arabella arrive au niveau de la
caméra et sort du champ, pendant que Fléchard redémarre de la
place, et se lance à la poursuite d'Arabella.
Plan d'ensemble d'une autre rue. Au premier plan, deux enfants
jouent avec une fontaine publique. Au bout de la rue, en arrière-
plan, on voit Arabella et Fléchard arriver vers nous côte à côte.
Fléchard crie pour se faire entendre au-dessus du bruit des
moteurs.
ARMAND FLÉCHARD
Et Blaireau a accepté vos colis ?
ARABELLA DE CHAVILLE
Oui, pourquoi ?
Avec le bruit des moteurs, on n'arrive pas à comprendre la suite
de la conversation.
Panoramique sur les deux véhicules qui se rapprochent. Un homme
s'apprête à traverser la rue, mais, pris par leur discussion
animée, les deux jeunes gens ne ralentissent même pas. Le
panoramique s'arrête sur l'homme qui se recule légèrement pour
éviter de se faire rouler dessus. Les véhicules sortent du champ.
L'HOMME
Assassins ! Assassins !
Travelling arrière sur les deux jeunes gens qui roulent côte à
côte au milieu de la rue. Fléchard pédale vigoureusement pour
rester à la hauteur d'Arabella.
ARMAND FLÉCHARD
Blaireau est une canaille, mais il est innocent.
ARABELLA DE CHAVILLE
C'est faux.
ARMAND FLÉCHARD
C'est moi qui ai rossé Parju !
ARABELLA DE CHAVILLE
Vous ? Allons donc !
Fléchard sort la plaque de Parju de sa poche, et la montre à
Arabella.
ARMAND FLÉCHARD
Tenez, la preuve !
Arabella regarde la plaque, puis détourne la tête. Fléchard remet
la plaque dans sa poche.
ARABELLA DE CHAVILLE
Je ne vous crois pas.
ARMAND FLÉCHARD
N'empêche... L'homme qui vous aime dans l'ombre.
Arabella jette des regards furtifs et furieux à Fléchard.
ARABELLA DE CHAVILLE
Vous avez lu mes lettres.
Fléchard se tape sur la poitrine.
ARMAND FLÉCHARD
C'est moi qui les ai écrites.
ARABELLA DE CHAVILLE
Mais c'est vous ?
ARMAND FLÉCHARD
Oui.
ARABELLA DE CHAVILLE
Mais pourquoi ?
ARMAND FLÉCHARD
Mais parce que je vous aime !
Il joint les deux mains sur sa poitrine, puis reprend vite son
guidon pour ne pas tomber.
ARABELLA DE CHAVILLE
Comment ?
ARMAND FLÉCHARD
Je vous aime !
ARABELLA DE CHAVILLE
Quoi ?
ARMAND FLÉCHARD
Je vous aime !
MONTPAILLARD - PLACE DE LA MAIRIE - EXTÉRIEUR JOUR
Vue aérienne de la place de la mairie, sur laquelle on voit
arriver les deux jeunes gens. Arabella s'arrête, Fléchard aussi,
mais Arabella n'arrête pas son moteur, qui est très bruyant et
couvre la voix de Fléchard.
ARMAND FLÉCHARD
Je vous aime !
Un boucher à bicyclette s'approchent d'eux.
Arabella arrête enfin son moteur, alors que plusieurs badauds se
rapprochent du couple. Et dans le silence qui suit l'arrêt du
moteur, Fléchard crie :
ARMAND FLÉCHARD
Je vous aime !
Plan rapproché sur les deux jeunes gens debout sur leur deux-roues
au milieu de la place, avec, en arrière-plan, des badauds qui les
entourent et les regardent.
ARABELLA DE CHAVILLE
Vous avez fait ça ? Vous ?
Fléchard baisse la tête et sourit.
ARMAND FLÉCHARD
Oui.
Arabella lui sourit avec tendresse.
Plan moyen sur l'entrée de la mairie. Le maire descend les marches
du perron et fait quelques pas vers deux femmes qui regardent le
couple en souriant.
MONSIEUR DUBENOÎT
Qu'est-ce qu'il a fait ?
Contrechamp sur l'autre côté de la place, où d'autres badauds
souriants observent le couple, dont le boucher appuyé sur sa
bicyclette. Guilloche s'approche du couple en souriant, et les
salue.
Plan moyen sur le couple. Fléchard baise la main d'Arabella.
ARABELLA DE CHAVILLE
Oh Armand, c'est merveilleux.
ARMAND FLÉCHARD
Oh oui, Arabella.
ARABELLA DE CHAVILLE
Vous allez être mis en prison ?
ARMAND FLÉCHARD
Oui...
Il cesse de sourire et la regarde avec plus d'attention.
ARMAND FLÉCHARD
Comment donc ?
ARABELLA DE CHAVILLE
Moi qui vous trouvais fade, idiot, insignifiant. Mais si
vous allez en prison, je vais devenir folle de vous.
Fléchard se redresse.
ARMAND FLÉCHARD
En prison ?
Il lui lâche la main et s'éloigne de deux pas.
ARMAND FLÉCHARD
Mais j'y vais.
Arabella le retient par le bras.
ARABELLA DE CHAVILLE
Vous feriez ça pour moi ?
ARMAND FLÉCHARD
Oui, Arabella.
ARABELLA DE CHAVILLE
Tout de suite ?
ARMAND FLÉCHARD
J'y vais.
Il s'éloigne à grandes enjambées.
ARMAND FLÉCHARD
J'y vais !
Le maire court après lui, suivi par Guilloche.
MONSIEUR DUBENOÎT
Fléchard ! Fléchard !
MONTPAILLARD - PLACE DE L'ÉGLISE - EXTÉRIEUR JOUR
Plan de demi-ensemble de la place de l'église. Le maire rattrape
Fléchard et lui prend le bras, mais Fléchard continue à marcher.
Le maire le suit tout en lui parlant. Derrière eux, on voit
Guilloche qui marche à grands pas pour les rejoindre.
MONSIEUR DUBENOÎT
Où allez-vous ?
ARMAND FLÉCHARD
Chez le Procureur de la République avouer mon crime.
MONSIEUR DUBENOÎT
Il n'y a pas de crime à Montpaillard !
ARMAND FLÉCHARD
C'est moi qui ai rossé Parju, Blaireau est innocent.
Il sort la plaque de Parju de sa poche, et la montre au maire.
MONSIEUR DUBENOÎT
Qu'est-ce que vous chantez ?
ARMAND FLÉCHARD
Ça ne sera pas, monsieur le maire. J'expie.
Il s'éloigne et sort du champ. Le maire s'est arrêté de marcher.
Guilloche le rejoint.
MAÎTRE GUILLOCHE
Mais... c'est une erreur judiciaire.
MONSIEUR DUBENOÎT
Non ! Pas d'erreur judiciaire à Montpaillard.
MAÎTRE GUILLOCHE
C'est un épouvantable scandale.
MONSIEUR DUBENOÎT
Il n'y a pas de scandale à Montpaillard !
MAÎTRE GUILLOCHE
Et bien, il va y en avoir un, moi, je vous le garantis.
PALAIS DE JUSTICE - BUREAU DU PROCUREUR - INTÉRIEUR JOUR
Plan rapproché du procureur, assis derrière son bureau.
LE PROCUREUR
Non, non, non, non-non, non-non, non-non...
Il frappe sur son bureau.
LE PROCUREUR
... on ne vient pas faire des aveux juste au moment des
vacances.
Contrechamp et plan rapproché, en légère contre-plongée, sur
Fléchard, debout devant le bureau.
ARMAND FLÉCHARD
Monsieur le Procureur, le remords ne choisit pas son jour.
Plan moyen sur les deux hommes, vu de côté, avec la fenêtre
entr'ouverte derrière eux. Le procureur hoche la tête.
LE PROCUREUR
Le remords ?... Et retarder mon départ en vacances, ça ne
vous en donne pas, de remords ? Vous, la santé de mes
enfants vous importe peu.
ARMAND FLÉCHARD
Quand dois-je me rendre en prison ?
LE PROCUREUR
Parce que vous voulez aller aussi en prison ? C'est un
monde !
ARMAND FLÉCHARD
Je veux coucher en prison ce soir.
LE PROCUREUR
Non, monsieur, vous ne coucherez pas en prison ce soir-
même.
Il ramasse un dossier sur son bureau, et le met dans un tiroir,
qu'il referme d'un geste sec.
ARMAND FLÉCHARD
Bon, ben... alors quand ?
Plan rapproché sur le procureur.
LE PROCUREUR
On vous écrira.
CHÂTEAU DE CHAVILLE - VESTIBULE - INTÉRIEUR JOUR
Gros plan sur un colis, avec une étiquette, sur laquelle est
inscrit : « Pour Armand Fléchard ». A côté du colis, une bouteille
de « Clos de Chaville - Montpaillard ». On voit la main d'Arabella
qui prend la bouteille.
Zoom arrière sur Arabella qui met la bouteille dans le colis. Son
père s'approche d'elle.
LÉON DE CHAVILLE
Mais... pour qui, ce colis ?
ARABELLA DE CHAVILLE
Pour mon fiancé.
LÉON DE CHAVILLE
Mais il sort de prison !
ARABELLA DE CHAVILLE
Mais non, il y entre.
LÉON DE CHAVILLE
Il... il y entre ? Mais... qui ?
ARABELLA DE CHAVILLE
Mais mon nouveau fiancé, papa.
Arabella prend son colis et s'éloigne.
LÉON DE CHAVILLE
Oh !... Non, non, non, non, non, non !
Il donne un grand coup de poing sur la table.
PRISON - BUREAU DU DIRECTEUR - INTÉRIEUR JOUR
Plan moyen sur le bureau, derrière lequel Bluette est assis.
Blaireau est debout à côté du bureau, son baluchon à la main, et
est en train de signer sur un grand registre ouvert sur le bureau
BLAIREAU
Là !
Il tend le stylo à Bluette, qui le prend.
MONSIEUR BLUETTE
Voilà.
Il se lève.
BLAIREAU
Alors ça y est, je suis libre ?
MONSIEUR BLUETTE
Oui.
Il lui tend la main.
MONSIEUR BLUETTE
Au revoir, mon vieux Blaireau.
Il lui tape sur le bras, puis le guide hors du bureau.
MONSIEUR BLUETTE
Donnez-moi de vos nouvelles, hein ?
Blaireau se retourne
BLAIREAU
Je vous apporterai du gibier.
MONSIEUR BLUETTE
Allons, voyons !
BLAIREAU
Il ne vous coûtera pas cher, et à moi non plus.
Il ricane, imité par Bluette.
MONSIEUR BLUETTE
Vous allez donc toujours l'intention de braconner ?
Ils sont presque arrivés à la porte, et Blaireau se retourne de
nouveau.
BLAIREAU
Ah, ben, que voulez-vous, tout le monde ne peut pas être
fonctionnaire, monsieur le directeur. A la revoyure,
monsieur Bluette.
Ils se serrent de nouveau la main. Bluette ouvre la porte.
MONSIEUR BLUETTE
Allez, au revoir, Blaireau.
BLAIREAU
Allez.
Il sort en chantonnant. Bluette referme la porte derrière lui, et
revient vers son bureau, en chantonnant lui aussi. Il referme le
registre en ricanant. Il aperçoit alors une enveloppe que,
apparemment, il n'avait pas encore remarquée. Il la ramasse,
l'ouvre et sort la lettre qui est à l'intérieur.
MONSIEUR BLUETTE
Qu'est-ce que c'est encore que ça ?
PRISON - COUR D'ENTRÉE - EXTÉRIEUR JOUR
Plan de demi-ensemble de la cour avec la porte d'entrée dans le
fond. Victor est en train d'ouvrir la porte. Blaireau se dirige
vers lui, puis s'arrête et siffle la ritournelle d'appel de son
chien. Deux aboiements lui répondent. Victor ouvre la porte pour
Blaireau, et le chien se dirige vers eux.
MONTPAILLARD - PLACE DEVANT LA PRISON - EXTÉRIEUR JOUR
Plan moyen de Blaireau en train de serrer la main de Victor, vu
depuis la place à l'extérieur de la prison. Derrière eux, à
l'étage, on voit Bluette derrière les barreaux de sa fenêtre.
BLAIREAU
Au revoir, Victor.
VICTOR
Au revoir, Blaireau.
MONSIEUR BLUETTE
Encore une petite seconde, Blaireau.
Victor lève les yeux vers la fenêtre.
BLAIREAU
Avec plaisir, monsieur le directeur.
Blaireau, qui était déjà sorti, revient dans la cour. Victor
referme la porte derrière lui.
PRISON - BUREAU DU DIRECTEUR - INTÉRIEUR JOUR
Plan de demi-ensemble de la pièce. Au fond, Bluette est debout
devant la fenêtre, la lettre à la main.
MONSIEUR BLUETTE
Ça, c'est incroyable !
Il revient vers le centre de la pièce, qui est assez élégamment
meublée, avec, entre autres, plusieurs fauteuils de style.
MONSIEUR BLUETTE
Le véritable coupable a fait des aveux complets, et s'est
mis à la disposition de la justice.
Il ricane. Il est arrivé devant la porte, qui s'ouvre doucement.
Blaireau entre dans la pièce.
MONSIEUR BLUETTE
Ah !
Il referme la porte derrière lui.
MONSIEUR BLUETTE
Blaireau ! Qu'est-ce que vous répondriez si je vous
apprenais que vous êtes innocent ?
BLAIREAU
Ah, je vous répondrais que je le savais.
MONSIEUR BLUETTE
Et vous aviez raison, Blaireau.
BLAIREAU
Ah !...
Bluette s'avance vers son bureau, en relisant la lettre.
MONSIEUR BLUETTE
Je viens de recevoir une lettre du Parquet... Ça... euh...
Vous êtes innocent.
Blaireau se rapproche de lui.
BLAIREAU
Mais... mais qui c'est qu'a fait le coup ?
MONSIEUR BLUETTE
C'est Fléchard... oui, c'est ça, le professeur de piano.
Blaireau ouvre de grands yeux et se met une main sur la hanche.
BLAIREAU
Oh ben ça, si les professeurs s'y mettent maintenant !
Bluette revient vers la lettre.
MONSIEUR BLUETTE
Alors voilà exactement ce que dit la lettre, n'est-ce pas.
« Après les formalités indispensables, on mettra Blaireau
en liberté le plus tôt possible. »
BLAIREAU
Oui, mais enfin maintenant, je suis libre.
MONSIEUR BLUETTE
Oh la ! Le plus tôt possible.
BLAIREAU
Comment ? Le plus tôt possible ?
MONSIEUR BLUETTE
Oh ça, Blaireau, je m'y engage.
Il met la lettre dans la poche de sa veste.
BLAIREAU
Enfin, moi maintenant, moi, je m'en vais.
Il se dirige vers la porte. Bluette le rattrape.
MONSIEUR BLUETTE
Ah non.
Il attrape Blaireau par le bras.
BLAIREAU
Comment non ?
MONSIEUR BLUETTE
Non. Vous avez fini votre temps comme coupable, bon.
Mais...
Il revient vers le centre de la pièce.
MONSIEUR BLUETTE
... on apprend aujourd'hui que vous êtes innocent.
Il s'assoit derrière son bureau.
MONSIEUR BLUETTE
Nous nous trouvons en présence de nouvelles formalités à
remplir.
Contrechamp sur Blaireau, qui vient vers le bureau
BLAIREAU
Alors, comme ça, c'est parce que je suis innocent qu'il
faut que je reste en prison ?
Plan moyen sur les deux hommes, Bluette assis derrière son bureau,
et Blaireau debout devant. Bluette se lève.
MONSIEUR BLUETTE
La loi est la loi.
Blaireau ricane. Bluette se penche vers lui.
MONSIEUR BLUETTE
Pour être emprisonné, il n'est pas absolument nécessaire
d'être coupable, mais, d'un autre côté, pour être mis en
liberté, il ne suffit pas toujours d'être innocent.
Désabusé, Blaireau s'assoit dans le fauteuil en face du bureau.
BLAIREAU
C'est bon...
Bluette lui tape sur l'épaule.
MONSIEUR BLUETTE
Oh mais je... Pauvre Blaireau, va.
Il ouvre une bonbonnière ancienne posée sur le bureau.
MONSIEUR BLUETTE
Un bonbon ?
BLAIREAU
Bah !
Blaireau fait une grimace de dégoût. Bluette referme la
bonbonnière.
MONTPAILLARD - PLACE DEVANT LA PRISON - EXTÉRIEUR JOUR
Plan rapproché, en contre-plongée, du fronton de la prison, avec
le mot « Prison » écrit en grosses lettres majuscules blanches, et
le drapeau Français flottant au-dessus. Panoramique descendant
rapide vers le niveau du sol. Arabella vient d'arriver à moto,
avec le colis pour Fléchard en travers du guidon. Elle regarde de
l'autre côté de la place avec une mimique de surprise. Elle croise
les bras sur son colis.
Toute la scène suivante est jouée sur le mode des films muets, où
le mime jouait un rôle important. Elle est d'ailleurs accompagnée
par une petite musique de piano, qui ressemble à celles qui
étaient jouées par les accompagnateurs de films muets.
Contrechamp montrant Arabella, de dos, au premier plan, et, en
arrière-plan, Parju, en grande discussion avec le boucher et deux
autres badauds. Fléchard s'approche de Parju dans son dos.
Fléchard montre à Arabella le bureau du procureur, au premier
étage de l'immeuble d'en face. Puis il fait un signe
d'impuissance.
Plan rapproché sur Arabella, toujours assise sur sa moto devant la
prison. Elle fait une mimique de demande d'explications. Puis elle
pose le coude sur son colis, et s'appuie la tête sur la main.
Plan de demi-ensemble de Fléchard, debout dans le dos de Parju.
Parju, lui discute toujours avec les mêmes badauds. Fléchard tape
sur l'épaule de Parju, qui se retourne. Fléchard lui tend les
poignets pour qu'il lui passe les menottes. Parju fait un signe de
dénégation, puis retourne à sa conversation. Fléchard semble
désabusé. Il tape de nouveau sur l'épaule de Parju, et lui raconte
l'attaque de nuit près du château. Il mime une bagarre. Parju fait
signe que cette histoire ne l'intéresse pas. Fléchard fouille dans
sa poche, en sort la plaque de Parju et la lui donne. Parju lève
les bras au ciel en guise de remerciement. Il se tourne vers
Fléchard et l'embrasse sur les deux joues. Il revient vers les
badauds et leur montre la plaque qu'il a remise en place. Il se
retourne et donne une grande bourrade à Fléchard.
Plan moyen sur Arabella, toujours à califourchon sur sa moto. Elle
hausse les épaules, démarre la moto et s'en va.
Retour sur le même plan de Parju et Fléchard. Parju est
visiblement en train d'expliquer aux badauds que Fléchard est le
héros qui lui a rendu sa plaque. Fléchard fait une mimique de
découragement et s'en va.
Fondu enchaîné.
PRISON - BUREAU DU DIRECTEUR - INTÉRIEUR JOUR
Plan moyen de Bluette assis derrière son bureau, occupé à lire un
document. On frappe à la porte.
MONSIEUR BLUETTE
Oui, entrez...
La porte s'ouvre et Fléchard entre, un baluchon à la main.
MONSIEUR BLUETTE
Ah !... Vous voilà, Fléchard.
Il se lève et vient vers Fléchard. Il lui montre le document qu'il
a toujours en main.
MONSIEUR BLUETTE
Et bien, mes compliments, hein !
ARMAND FLÉCHARD
Bof !
MONSIEUR BLUETTE
Et qu'est-ce que vous désirez ?
ARMAND FLÉCHARD
Je viens me constituer prisonnier.
MONSIEUR BLUETTE
Ah ! Vous avez un papier ?
ARMAND FLÉCHARD
Ah... non, monsieur le directeur.
MONSIEUR BLUETTE
Un mot, une lettre du parquet ?
ARMAND FLÉCHARD
Mais non, je n'ai rien du tout.
MONSIEUR BLUETTE
Et vous vous imaginez que je vais vous coffrer comme ça ?
De chic ! Mais vous êtes étonnant, ma parole d'honneur.
Il retourne s'assoir derrière son bureau.
ARMAND FLÉCHARD
Comment ? Il faut une recommandation, maintenant, pour
entrer en prison ?
MONSIEUR BLUETTE
Mais certainement.
ARMAND FLÉCHARD
Oui, toujours la faveur, alors.
Bluette semble ne pas apprécier cette accusation. Il pointe le
doigt vers Fléchard, et marmonne entre ses dents :
MONSIEUR BLUETTE
Écoutez bien...
On frappe à une autre porte que la porte d'entrée habituelle du
bureau. Bluette et Fléchard se tournent vers cette porte. Bluette
répond sur un ton très sec :
MONSIEUR BLUETTE
Oui !
Plan moyen sur l'autre porte qui s'ouvre doucement. Blaireau
apparaît.
BLAIREAU
Monsieur le directeur.
MONSIEUR BLUETTE
Allons, bon, l'autre à présent. Qu'est-ce que c'est
encore ?
Blaireau s'approche du bureau, l'air un peu obséquieux.
BLAIREAU
Ce n'est pas pour vous faire un reproche, monsieur le
directeur, mais je trouve que vous y mettez du temps à me
relâcher.
Plan de demi-ensemble montrant Bluette assis derrière son bureau,
Fléchard debout d'un côté et Blaireau debout de l'autre côté.
MONSIEUR BLUETTE
Impossible avant d'avoir reçu l'ordre du Parquet.
BLAIREAU
Alors, non seulement je fais mon temps et je suis innocent,
et on ne veut pas me relâcher. Ben ça, c'est trop fort !
ARMAND FLÉCHARD
Oui, ben moi, c'est encore plus fort. Je suis coupable, et
on ne veut pas m'arrêter.
MONSIEUR BLUETTE
Oh !... Si on devait mettre tous les coupables en prison...
ben là, on n'en sortirais plus !
BLAIREAU
Oui, ben elle est propre, la justice.
MONSIEUR BLUETTE
Non, mais vous allez vous taire !
BLAIREAU
Non, je ne me tairai pas.
Il frappe du plat de la main sur le bureau.
BLAIREAU
Je veux sortir !
ARMAND FLÉCHARD
Je veux rentrer !
Il frappe du plat de la main sur le bureau.
BLAIREAU
Je veux sortir !
Il frappe du plat de la main sur le bureau.
ARMAND FLÉCHARD
Je veux rentrer !
BLAIREAU
Je veux sortir !
Il frappe du plat de la main sur le bureau.
ARMAND FLÉCHARD
Je veux rentrer !
Bluette frappe des deux mains sur son bureau et se lève, très en
colère.
MONSIEUR BLUETTE
Assez !... Victor !
Victor entre dans le bureau.
VICTOR
Monsieur le directeur ?
MONSIEUR BLUETTE
Flanquez-moi Blaireau au cachot. Quant à vous, monsieur
Fléchard, dehors !
Victor pousse Blaireau vers une porte, et Bluette pousse Fléchard
vers l'autre. Tous parlent en même temps et on ne comprend pas ce
qu'ils disent.
PRISON - COUR D'ENTRÉE - EXTÉRIEUR JOUR
Plan moyen de l'un des escaliers du perron de la prison. Bluette
tient toujours Fléchard par le bras, et le force à descendre les
escaliers.
ARMAND FLÉCHARD
Écoutez, monsieur Bluette, il faut que j'entre en prison.
MONSIEUR BLUETTE
Non.
PRISON - UN COULOIR - INTÉRIEUR JOUR
Victor tient Blaireau par le bras, et le pousse vers le cachot.
Blaireau se débat.
VICTOR
Allons, allons !
BLAIREAU
Je me plaindrai au gouvernement !
MONTPAILLARD - PLACE DEVANT LA PRISON - EXTÉRIEUR JOUR
Plan moyen sur la porte de la prison. La porte s'ouvre et Bluette
pousse Fléchard dehors.
MONSIEUR BLUETTE
Vous êtes charmant, Fléchard, mais non.
ARMAND FLÉCHARD
Mais voyons...
La porte se referme, et Fléchard tape dessus. Elle se rouvre et
Bluette réapparait.
MONSIEUR BLUETTE
Non.
Il referme la porte.
PRISON - UN COULOIR - INTÉRIEUR JOUR
Plan moyen de Victor poussant Blaireau à l'intérieur du cachot.
VICTOR
Allez !
BLAIREAU
Non !
Victor claque la porte du cachot derrière Blaireau. La tête de
Blaireau apparaît à la lucarne de la porte.
BLAIREAU
Non ! Je suis innocent !
Victor donne deux tours de clé à la porte. Zoom avant sur le
visage de Blaireau.
BLAIREAU
Je suis innocent ! Oh !... Quand je sortirai, ça fera du
vilain ! Je suis innocent !...
Fondu au noir.
MONTPAILLARD - UNE RUE - EXTÉRIEUR JOUR
Roulement de tambour. Gros plan sur la première page de « L'Éveil
de Montpaillard ». Un gros titre en travers de toute la page :
« Un Scandale à Montpaillard - L'Affaire Blaireau - grave erreur
judiciaire». Et, en dessous, dans un encadré, les mots « Le
Crime », puis, dans la pliure du journal, on devine le mot
« Maire ».
Plan rapproché de Guilloche en train de lire son journal devant
une porte, sur laquelle est inscrit « Imprimerie ». Il plie le
journal en quatre.
MAÎTRE GUILLOCHE
Cramponne-toi, Dubenoît.
Il regarde autour de lui.
MAÎTRE GUILLOCHE
En avant !
Zoom arrière montrant une dizaine de jeunes garçons, portant
chacun un paquet de journaux dans les mains et qui s'éparpillent
en courant et en criant : « L'Éveil ! L'Éveil ! ». De chaque côté
de l'entrée de l'imprimerie, des affichettes, collées sur les
murs, indiquent « L'Éveil de Montpaillard ». Des jeunes gens, un
peu plus âgés, sortent, à leur tour, de l'imprimerie, portant
aussi des paquets de journaux. Guilloche pousse les derniers
gamins, dont l'un s'est même fait un chapeau avec l'un des
journaux !
Plan de demi-ensemble de la rue. Les gamins passent en courant
devant le maire, qui se retourne pour les regarder. Il a déjà un
journal à la main. Un passant arrête un gamin pour lui acheter un
journal. Guilloche s'approche du maire. Le maire pointe le doigt
vers lui, et lui dit quelque chose, et Guilloche lui répond, mais,
avec les cris des gamins, on ne peut comprendre ce qu'ils se
disent. D'autres badauds s'approchent d'eux, tenant chacun un
journal à la main. Ils sont tous hilares.
Contrechamp montrant, au premier plan, le maire et Guilloche en
pleine discussion. Derrière eux, en arrière-plan, Parju est en
train de lire le journal. Un gendarme garde un bâtiment officiel,
vers lequel Fléchard se dirige. Le maire court vers lui. Guilloche
entre à la suite de Fléchard dans le bâtiment, mais le maire reste
dehors. Il est rejoint par Parju.
Plan moyen montrant le boucher en train de se battre avec Auguste.
Un gendarme essaie de les séparer.
AUGUSTE
Je le savais qu'il était innocent... Je le savais !
MONTPAILLARD - PLACE DE LA MAIRIE - EXTÉRIEUR JOUR
Vue aérienne de la place. Des badauds se rassemblent sur la place.
Des tracts « tombent du ciel ». Dessus, on peut distinguer, écrits
en majuscules, les mots « Tous - Nous attendrons Blaireau à sa
Libération », et sur un autre tract : « Grande Fête - pour
l'innocence de Blaireau ».
MAÎTRE GUILLOCHE (voix off sortant d'un mégaphone)
Un innocent est maintenu en prison.
Une voiture arrive sur la place, couverte de banderoles au nom de
« L'Éveil de Montpaillard », avec, écrit en dessous :
« Directeur : A. Guilloche ». Debout dans la voiture, la moitié du
corps passant par le toit ouvrant, Guilloche harangue la foule, un
mégaphone à la main.
MAÎTRE GUILLOCHE
Nous, fils de Saint Louis, assoiffés de justice, nous
n'avons pas pris la Bastille pour rien. Notre journal,
L'Éveil de Montpaillard, obtiendra la libération de
Blaireau. Crions notre indignation. Libérez Blaireau !
Plan moyen sur Guilloche debout dans sa voiture arrêtée, le
mégaphone devant la bouche. Derrière lui, le perron de la mairie
MAÎTRE GUILLOCHE
Fustigeons les pouvoirs publics décadents. Fêtons Blaireau,
l'innocence retrouvée.
Le maire et Parju montent les marches du perron de la mairie. La
voiture de Guilloche redémarre et sort du champ.
MAÎTRE GUILLOCHE (voix off sortant d'un mégaphone)
Tous demain, devant la prison. Le peuple reconnaîtra les
siens. Assez d'abus, assez de...
Le reste se perd dans le brouhaha ambiant. Zoom avant sur le
maire, qui met la main sur l'épaule de Parju.
MONSIEUR DUBENOÎT
Ah !... Mon pauvre Parju. Montpaillard n'est plus la ville
la plus calme de France.
Gros plan sur le sol de la place où les tracts continuent à tomber
du ciel.
LA FOULE (voix off)
Libérez Blaireau ! Libérez Blaireau ! Libérez Blaireau !
Libérez Blaireau !...
Fondu au noir
PRISON - COUR D'ENTRÉE - EXTÉRIEUR JOUR
Plan moyen sur Bluette et Blaireau, vus de dos. Devant eux, la
porte de la prison est ouverte à deux battants par Victor. Bluette
s'efface pour laisser passer Blaireau. Devant eux, en travers de
la rue, une grande banderole, entourée de drapeaux, affiche :
« Pardon Blaireau ». Sur la place, devant la prison une grande
foule est rassemblée. Elle acclame, à grands cris, la sortie de
Blaireau. Blaireau est habillé d'un costume sombre, mais porte
toujours son éternel béret. Il hésite un peu à sortir, mais
Bluette le pousse. Dehors, Blaireau est accueilli par Guilloche,
en habit, et portant un chapeau haut-de-forme à la main. Derrière
Bluette, le chien sort tranquillement. Les cloches de la ville se
mettent à sonner. Blaireau serre chaleureusement la main de
Bluette.
LA FOULE
Blaireau ! Blaireau ! Blaireau !...
MONTPAILLARD - PLACE DEVANT LA PRISON - EXTÉRIEUR JOUR
Contrechamp montrant, en plan moyen, Bluette, Blaireau et
Guilloche, vus de face. On remarque que Blaireau, outre son beau
costume sombre, porte un noeud papillon et un oeillet blanc à la
boutonnière. Les portes de la prison se referment derrière eux.
LA FOULE (voix off)
Blaireau ! Blaireau ! Blaireau !...
Zoom arrière permettant de découvrir une grande voiture à deux
portes, décapotable et décapotée, et qui s'arrête devant la porte
de la prison. Le chauffeur sort de la voiture et enlève sa
casquette. Guilloche relève le siège avant, puis monte dans la
voiture, suivi de Blaireau. Le chauffeur remet sa casquette et
reprend sa place au volant. Guilloche fait signe à la foule de se
taire. Les acclamations diminuent. Puis Guilloche fait signe à un
petit garçon d'approcher. Le petit garçon porte un bouquet de
fleurs, qu'il donne à Guilloche.
Plan rapproché de Guilloche et Blaireau debout à l'arrière de la
voiture. Guilloche tend le bouquet à Blaireau, qui le lui prend
des mains. La foule est maintenant silencieuse. On n'entend plus
que les cloches. Guilloche passe le bras autour des épaules de
Blaireau.
MAÎTRE GUILLOCHE
Mes chers concitoyens, l'émotion m'empêche de vous parler
longuement. Votre journal, L'Éveil de Montpaillard, vous a
demandé d'être là, et Montpaillard est là, manifestant sa
sympathie au martyr innocent et sa réprobation à la
tyrannie municipale.
Plan moyen sur un coin de la place. Deux petites filles portent
des fleurs dans les cheveux. Autour d'elles, un homme hilare, un
petit garçon et deux jeunes femmes souriantes. Derrière eux, Parju
surveille l'évènement. Le maire apparaît timidement derrière un
pan de mur, et regarde Parju.
MAÎTRE GUILLOCHE (voix off)
Mais oublions, en ce beau jour...
Retour sur Guilloche et Blaireau dans la voiture
MAÎTRE GUILLOCHE
... les passions et les haines, et répétons ces deux mots,
illustrant les sentiments qui, tous, nous réunissent :
pardon Blaireau.
VOIX D'ENFANTS (voix off)
Pardon Blaireau !
Il embrasse Blaireau sur les deux joues, ce qui a l'air de ne
plaire que moyennement à l'intéressé.
Plan un peu plus éloigné de la voiture.
MAÎTRE GUILLOCHE
Et vive Blaireau !
LA FOULE (voix off)
Vive Blaireau !
Guilloche tape sur l'épaule du chauffeur, qui démarre la
voiture... un peu sèchement, ce qui fait que Guilloche et Blaireau
tombent tous les deux à la renverse et se retrouvent assis sur le
siège. Bluette les regarde partir en les applaudissant.
MONTPAILLARD - UNE RUE - EXTÉRIEUR JOUR
Plan d'une rue en enfilade. En travers de la rue, une banderole,
entourée de guirlandes, affiche : « Honneur à Blaireau ». Une
foule nombreuse et joyeuse est massée des deux côtés de la rue. Au
bout de la rue, on voit s'avancer la voiture décapotable, entourée
de gendarmes à bicyclette.
Plan rapproché de Blaireau dans la voiture. Il est couvert de
serpentins. Une jeune femme blonde lui tend son chien, qu'il prend
dans ses bras, et dépose sur la banquette. En échange, il donne
son bouquet à la jeune femme.
Retour sur la rue en enfilade. Un gendarme à vélo attend que la
voiture redémarre pour repartir. La voiture passe devant la caméra
et sort du champ sur la droite. Guilloche est assis et salue la
foule avec son chapeau haut-de-forme. Blaireau est debout et salue
aussi la foule.
LA FOULE
Blaireau ! Blaireau ! Blaireau !...
Derrière la voiture, arrive un cortège cycliste d'enfants.
Contrechamp en plan de demi-ensemble. La caméra surplombe la rue,
en travers de laquelle une pancarte, entourée de drapeaux,
indique : « Vive Blaireau ». Le voiture passe sous la caméra.
Blaireau est debout, son chien dans les bras. Devant la voiture
tourne un manège.
Plan moyen sur la voiture qui vient de s'arrêter. Guilloche, son
chapeau sur la tête, sort côté passager. Blaireau pose son chien
sur la banquette et sort à son tour. Les deux hommes se fraient un
chemin au milieu des serpentins. Ils arrivent devant la voiture.
Guilloche fait un grand geste du bras.
MAÎTRE GUILLOCHE
Cette fête est pour vous, Blaireau.
BLAIREAU
Mais il fallait pas, mais c'est trop !
Guilloche désigne quelque chose de la main.
MAÎTRE GUILLOCHE
Hé, tenez.
BLAIREAU
Mais tout ça, c'est pour moi ?
Contrechamp montrant des hommes rassemblés autour de grandes
barriques de vin. Au-dessus d'eux, une pancarte indique : « à la
santé de Blaireau ». Les hommes lèvent tous leurs verres vers
Blaireau.
LES HOMMES
A ta santé, Blaireau !
Retour sur Guilloche et Blaireau devant la voiture.
BLAIREAU
Mais, mais, mais je suis confus.
MAÎTRE GUILLOCHE
Mais non.
Blaireau donne une grande tape dans le dos de Guilloche, dont le
chapeau manque de tomber. Blaireau se précipite vers les hommes.
La caméra le suit. Il arrive près d'eux. Il prend un verre des
mains d'Auguste, et se tourne vers la foule. Il lève son verre.
BLAIREAU
Hé, les gars, c'est ma tournée.
LA FOULE
Vive Blaireau ! Vive Blaireau !
Des hommes sortent de la foule et s'approche de Blaireau pour
trinquer avec lui.
Plan rapproché sur le chien, assis sur une planche devant les
barriques. Il a un noeud autour du cou et une fleur en papier
passée dans son collier. A côté de lui, le petit garçon à
lunettes, que nous avions déjà vu pêcher avec le juge, partage sa
glace avec le chien. Le petit garçon porte un petit chapeau en
carton, style « Fez » marocain.
Plan moyen sur Guilloche, qui regarde la foule en liesse. Le maire
arrive derrière lui, tout souriant.
MONSIEUR DUBENOÎT
Hé, hé, c'est beau, le désintéressement, hein ?
MAÎTRE GUILLOCHE
Vous ici, monsieur le maire ?
MONSIEUR DUBENOÎT
Je m'amuse beaucoup. Enfin, on ne crie pas : « Vive
Guilloche ! », on crie : « Vive Blaireau ! ».
MAÎTRE GUILLOCHE
C'est bien normal, je ne suis pas la victime.
MONSIEUR DUBENOÎT
Oh, mais ça va venir. Le prochain maire de Montpaillard ne
s'appellera pas Dubenoît, ni Guilloche, il s'appellera
Blaireau ! Hé, hé, hé ! Beau travail, mon cher maître.
Il lui donne une grande tape dans le dos. Guilloche titube un peu
et se masse l'épaule. Le maire s'éloigne d'un pas, puis s'arrête
et regarde un homme qui s'approche de Guilloche, un papier à la
main. Il s'agit du marchand de vins.
LE MARCHAND DE VINS
Voici la facture du vin.
Le maire le regarde en souriant.
MONSIEUR DUBENOÎT
Ah bon !
Guilloche déplie la facture, et a une mimique de surprise. Il
prend l'homme par le bras et s'éloigne avec lui. Derrière lui, on
voit le maire qui salue la famille de Chaville au grand complet,
Arabella comprise.
ANNONCE (voix off provenant d'un haut-parleur)
Voici le grand prix cycliste de Montpaillard.
Plan en enfilade des coureurs alignés pour le départ. Au premier
plan, Parju essaie d'empêcher les enfants de faire des bêtises.
ANNONCE (voix off provenant d'un haut-parleur)
Voici le grand prix cycliste de Montpaillard.
Travelling longeant la rangée de cyclistes jusqu'à l'autre
extrémité de la rangée, où se trouvent un gendarme et Auguste.
ANNONCE (voix off provenant d'un haut-parleur)
Le départ va être donné par Blaireau.
Blaireau rejoint Auguste. Il a toujours son verre à la main, mais
il tient, dans l'autre main, le revolver destiné à lancer le
départ de la course. Il agite le revolver, puis boit un coup.
Contrechamp sur Parju, à l'autre extrémité de la rangée de
cyclistes, et qui essaie d'empêcher la foule de gêner le départ de
la course. Il lève la tête et regarde Blaireau.
Contrechamp sur Blaireau, qui agite toujours le revolver. Il
aperçoit Parju et baisse lentement son arme.
BLAIREAU
Attends un peu, toi.
Il vise Parju. Les hommes autour de lui rigolent.
Contrechamp sur Parju, apeuré, et qui se réfugie au milieu de la
foule qui l'entoure.
Contrechamp sur Blaireau, et les hommes qui éclatant de rire
autour de lui.
BLAIREAU
Bon, allez, faut pas jouer avec ces choses-là. Allez.
Il met le revolver dans sa poche.
Contrechamp sur Blaireau, caché derrière les hommes dans la foule
PARJU
Je t'aurai, Blaireau, je t'aurai.
BLAIREAU (voix off)
A trois, vous partez...
Contrechamp sur Blaireau.
BLAIREAU
Bon...
A chaque chiffre, il fait un grand geste de main.
BLAIREAU
Un... deux...
Les cyclistes se penchent sur leurs guidons, prêts au départ.
BLAIREAU
... deux et demi...
Zoom arrière sur les cyclistes qui se lancent dans un faux départ.
Tout le monde éclate de rire autour de Blaireau. Les cyclistes
reculent pour se remettre sur la ligne de départ. Blaireau éclate
de rire à son tour. Il prend un verre des mains de son voisin.
Alors qu'il a déjà ses lèvres sur le bord du verre, il se tourne
brusquement vers les cyclistes.
BLAIREAU
Trois !
Les cyclistes s'élancent pour de bon.
Plan de demi-ensemble des cyclistes, vus de dos, qui démarrent
leur course. Ils essaient d'éviter Fléchard qui marche tout seul
au milieu de la rue.
Plan de demi-ensemble d'un manège. Arabella grimpe sur le manège,
aidée par Blaireau, qui lui a tendu la main.
Contrechamp sur Fléchard, qui marche vers le manège, en écartant
les enfants qui courent autour de lui.
Contrechamp sur Fléchard, vu de dos. Il arrive au manège, qui a
démarré et qui tourne. Il arrive néanmoins à grimper sur le
manège.
Plan moyen sur Arabella, assise sur une vache sur le manège. La
caméra est placée sur le manège devant Arabella, et tourne donc
avec le manège. Le manège et ses accessoires sont en plan fixe, et
c'est la foule qui semble défiler autour du manège. Fléchard se
faufile derrière Arabella, et grimpe sur la vache voisine de celle
d'Arabella, et qui était libre. Il se penche vers elle. Comme la
vache de Fléchard monte et descend et que celle d'Arabella est
fixe, la conversation est un peu compliquée.
ARMAND FLÉCHARD
Arabella, j'ai tout essayé.
ARABELLA DE CHAVILLE
Parfait. Êtes-vous en prison ?
ARMAND FLÉCHARD
Euh... non.
ARABELLA DE CHAVILLE
Pourquoi ?
ARMAND FLÉCHARD
Mais ils ne veulent pas de moi.
ARABELLA DE CHAVILLE
Dans ce cas, je ne veux pas de vous non plus.
ARMAND FLÉCHARD
Mais, moi, je vous aime, Arabella.
ARABELLA DE CHAVILLE
Prouvez-le.
Autre plan du manège. Blaireau et le juge sont assis sur deux
cochons voisins.
BLAIREAU
Belle fête, hein, ah, ah, monsieur le juge.
LE JUGE LERECHIGNEUX
Mon cher Blaireau, vous êtes le héros de Montpaillard, et
grâce à qui ?... Grâce à moi.
Il se tapote sur la poitrine
BLAIREAU
Ah ?...
D'un seul coup, il réalise l'étrangeté du propos du juge, et il
met sa main en cornet près de son oreille.
BLAIREAU
Je vous demande pardon ?
LE JUGE LERECHIGNEUX
Mais bien sûr. Si vous n'aviez pas été jugé coupable
d'abord, vous n'auriez pas été reconnu innocent ensuite. Et
personne ne s'occuperait de vous.
BLAIREAU
Ah, mais c'est pourtant vrai.
LE JUGE LERECHIGNEUX
J'espère que vous ne me gardez vraiment pas rancune ?
BLAIREAU
Ah, mais voyons, pourquoi donc. A chacun sa spécialité.
Vous m'avez trouvé coupable, parce que vous êtes juge. Mais
Si vous étiez avocat, vous m'auriez trouvé innocent. Oui,
enfin, chacun son métier, hein ?
Le manège ralentit
BLAIREAU
Allez, venez boire un verre avec moi, ça vous remettra.
LE JUGE LERECHIGNEUX
Avec joie.
Il descend de son cochon avec une certaine difficulté.
Stand de tir. Plan moyen des tireurs et des spectateurs, vus de
l'intérieur du stand. Au milieu des tireurs, le maire, un revolver
à la main. Derrière le maire, Auguste. Le maire tire un coup. Le
responsable du stand lui prend le revolver des mains pour le
recharger. Blaireau arrive derrière lui, accompagné du juge.
MONSIEUR DUBENOÎT
Je sais pas ce que j'ai aujourd'hui.
Il hausse les épaules.
BLAIREAU
Alors, on joue au petit soldat.
Le maire se tourne en riant vers Blaireau. Le responsable redonne
le revolver chargé à Dubenoît. Celui lève le revolver en l'air,
prêt à le redescendre pour viser. Blaireau lui donne une grande
tape sur l'épaule.
BLAIREAU
Sacré Dubenoît, va !
Le coup part.
Plan rapproché sur la guirlande au-dessus du stand de tir. Le coup
de revolver décroche l'un des lampions de papier, qui descend
lentement.
Plan rapproché sur Guilloche, debout à côté du stand de tir. Il
tient la main d'une jeune femme blonde dans la sienne. Il est
visiblement en train de lui lire les lignes de la main. Le lampion
lui descend sur la tête, sans qu'il s'en aperçoive, et il se
retrouve coiffé à la manière d'un fakir.
MAÎTRE GUILLOCHE
L'amour, beaucoup d'amour.
LA JEUNE FEMME
Mais vous êtes fakir ?
MAÎTRE GUILLOCHE
A mes heures.
Il se tourne vers elle en souriant, et en serrant sa main dans la
sienne. A ce moment-là seulement, elle relève la tête et
s'aperçoit de la nouvelle coiffure de Guilloche. Elle pousse un
cri, retire sa main et se sauve en courant. On entend des rires.
Guilloche se tourne vers les rires
Contrechamp sur le stand de tir. Devant le stand, le maire,
entouré de Blaireau et de la comtesse de Chaville, et derrière lui
Auguste et le juge. Ils sont tous en train de rire de la
mésaventure de Guilloche.
BLAIREAU
Allez ! Venez trinquer avec nous, monsieur le maire.
MONSIEUR DUBENOÎT
Quel honneur pour moi, Blaireau.
Blaireau passe un bras sous celui du maire, puis l'autre bras sous
celui du juge. Le maire pointe son doigt vers Guilloche en riant.
BLAIREAU
Allez, Guilloche, venez boire un verre avec nous, quoi.
Vous n'êtes pas de trop.
Un travelling arrière, qui suit la marche de Blaireau, découvre
Guilloche, qui a remis son haut-de-forme sur sa tête, mais qui
tient toujours le lampion à la main.
BLAIREAU
Allez !
Il lui donne une grande tape dans le dos. Ils sortent du champ.
Guilloche jette le lampion par terre et les suit.
Plan moyen de Parju, vu de dos. Il est debout en train de manger
une glace. En arrière-plan, le manège est en train de tourner.
BLAIREAU (voix off)
A la justice !
Au son de la voix de Blaireau, Parju se retourne et écarquille les
yeux.
Contrechamp et plan moyen sur Blaireau, entouré du maire, du juge
et de Guilloche, tous les quatre le verre à la main.
LE JUGE, DUBENOÎT & GUILLOCHE (ensemble)
A l'innocence !
Ils boivent.
BLAIREAU
Et bien, Parju, hein-hein ? Qu'es-ce que tu dis de ça ?
Contrechamp sur Parju, qui, de surprise, fait tomber sa glace par
terre.
BLAIREAU (voix off)
Alors ? C'est-y toi qui trinquerais avec les grosses
légumes de Montpaillard ?
Retour sur Blaireau et ses « amis ».
BLAIREAU
Hein ?
Il donne son verre au maire, et fait signe à Parju.
BLAIREAU
Parju !... Parju !
Plan plus éloigné, avec Parju de dos en premier plan et Blaireau
et ses « amis » en arrière-plan. Blaireau s'avance vers Parju, en
lui faisant le même petit signe de la main. Puis il se plante en
face de lui.
BLAIREAU
Serrons-nous la main, vieux camarade.
Il lui tend la main. Parju sourit. Un « Ah ! » d'admiration
s'élève de la foule qui les entoure. Parju prend la main de
Blaireau, et la serre vigoureusement.
BLAIREAU
Parju...
Plan plus rapproché sur le juge entouré du maire et de Guilloche.
MONSIEUR DUBENOÎT
Quelle popularité, hein ?
Il se tourne vers Guilloche.
MONSIEUR DUBENOÎT
Blaireau vous devra une fière chandelle, quand il sera
député.
MAÎTRE GUILLOCHE
Député, vous badinez !
Plan d'ensemble de la rue en fête. Dans le fond le manège. Au-
dessus de la rue, la pancarte « Vive Blaireau ». La foule s'est
écartée en deux groupes, de façon à ménager un passage sous la
pancarte pour le retour des coureurs.
ANNONCE (voix off provenant d'un haut-parleur)
Blaireau ! On demande monsieur Blaireau, au contrôle de
l'arrivée pour le grand prix d'Ile-de-France.
Plan de demi-ensemble d'une partie de la foule, massée dans
l'attente des coureurs. Les gens se mettent à crier et à
applaudir. Dans le fond, on voit apparaître les premiers coureurs.
Lorsqu'ils arrivent au niveau de la caméra, celle-ci les suit,
puis s'arrête à un groupe dans la foule. Il s'agit de Blaireau
portant un grand bouquet de fleurs, et entouré de la comtesse de
Chaville et d'une jeune femme blonde. A côté de la jeune femme,
Guilloche applaudit les coureurs. On voit passer d'autres coureurs
devant eux.
Plan moyen sur le petit groupe. Blaireau semble très excité, et il
parle en faisant de grands gestes à la comtesse. Mais, avec le
bruit ambiant, on ne comprend pas ce qu'il dit. Le vainqueur de la
course revient, roulant au pas, vers Blaireau. Le coureur enlève
sa casquette et la jeune femme l'embrasse. Blaireau tend le
bouquet au coureur en riant. Puis il se ravise, détache une fleur
du bouquet, la donne au coureur, lui mime un baiser, puis donne le
reste du bouquet à la comtesse.
BLAIREAU
Voilà !
COMTESSE DE CHAVILLE
Oh !...
Blaireau baisse la tête, puis la relève en joignant les mains.
BLAIREAU
Madame de Chaville, voulez-vous me faire l'honneur et
l'avantage de gambiller la prochaine avec moi ?
La comtesse éclate de rire.
COMTESSE DE CHAVILLE
Ce garçon est d'un champêtre !
Elle donne le bouquet au gendarme debout à côté d'elle, puis se
tourne vers Blaireau.
COMTESSE DE CHAVILLE
Mais je gambille, mon ami, je gambille.
Ils s'éloignent tous deux vers la piste de danse, applaudis par la
foule.
Plan de demi-ensemble, en légère contre-plongée, de la piste de
danse. Blaireau et la comtesse s'avancent au milieu de la piste
vide, et se mettent à danser, d'une façon un peu comique, surtout
pour Blaireau.
Retour sur le vainqueur de la course, avec la jeune femme blonde à
côté de lui. Guilloche regarde les danseurs, puis il prend la
jeune femme par le bras, et l'entraîne, au désappointement marqué,
à la fois du coureur et de la jeune femme.
Retour sur le même plan de la piste de danse, sur laquelle
Blaireau danse toujours avec la comtesse. Des enfants viennent les
rejoindre, suivis de couples adultes. Blaireau et la comtesse
sortent du champ en dansant.
Plan moyen de Guilloche et de la jeune femme debout et en train de
manger une glace. En arrière-plan, le stand de tir. Blaireau passe
entre eux et le stand de tir, dansant toujours avec la comtesse.
BLAIREAU
Alors, Guilloche, ça roulotte ? Hein... Allez !
Il lui donne une grande tape dans le dos, et Guilloche s'écrase le
nez dans sa glace. Blaireau s'éloigne en dansant avec la comtesse.
Guilloche relève la tête : il a la moustache et la barbe pleines
de glace. La jeune femme met la main devant sa bouche pour masquer
son fou-rire. Puis elle s'éloigne. Le maire et le juge, qui était
debout devant le stand de tir, se rapprochent de Guilloche, qui
s'essuie le visage avec son mouchoir.
LE JUGE LERECHIGNEUX
Alors, mon cher maître, ça roulotte ?
MONSIEUR DUBENOÎT
Amusant, hein, ce Blaireau ?
MAÎTRE GUILLOCHE
Moquez-vous, messieurs, mais...
Il jette sa glace par terre.
MAÎTRE GUILLOCHE
J'avoue que je me suis trompé.
LE JUGE LERECHIGNEUX
La jeunesse, mon cher.
Guilloche continue à s'essuyer le visage avec son mouchoir.
MAÎTRE GUILLOCHE
Bien sûr, le peuple, c'est courageux...
MONSIEUR DUBENOÎT & LE JUGE (ensemble)
Oh oui !...
MAÎTRE GUILLOCHE
... c'est travailleur,
MONSIEUR DUBENOÎT & LE JUGE (ensemble)
Oui !...
Guilloche remet son mouchoir en pochette dans la poche pectorale
de sa veste.
MAÎTRE GUILLOCHE
... mais c'est bien ingrat.
MONSIEUR DUBENOÎT & LE JUGE (ensemble)
Oh la la !...
Plan moyen de Fléchard qui marche le long du stand de vin.
BLAIREAU (voix off)
Hé, Fléchard...
Fléchard se retourne. Blaireau s'approche de lui, et le prend par
la taille.
BLAIREAU
Hé-hé... Ben, si le vrai coupable s'en va, la fête est
finie !
Fléchard tape sur l'épaule de Blaireau.
Plan de demi-ensemble en légère contre-plongée sur la piste de
danse, où enfants et adultes sont en train de danser.
Plan rapproché du petit garçon à lunette et du chien de Blaireau,
assis côte à côte dans une voiture du manège. Devant la voiture,
un cheval ailé.
Plan moyen de Blaireau et Fléchard. Ils sont assis sur un banc
devant le stand de vin. Blaireau a un verre à la main, et Fléchard
termine son récit, avec, lui aussi, un verre à la main.
ARMAND FLÉCHARD
... ben, voilà... Pas de prison, pas de mariage.
Blaireau ricane. Il réfléchit un instant puis pose son verre sur
le banc. Il montre quelque chose à Fléchard.
BLAIREAU
Tu vas aller là-bas...
Fléchard pointe son doigt dans la direction indiquée par Blaireau.
Puis Blaireau marmonne des mots incompréhensibles en faisant des
gestes de la main. Fléchard mime les gestes de Blaireau.
BLAIREAU
... et je vais t'arranger le coup.
Il sort, de sa poche, le revolver de départ de la course cycliste,
qu'il avait gardé. Il tourne machinalement le barillet, puis se
lève, le revolver pointé devant lui. Fléchard le suit des yeux,
puis se lève et s'éloigne.
Plan de demi-ensemble d'un espace vide derrière le manège. Au fond
de l'espace vide, deux chevaux de bois inutilisés sont posés dans
un coin. A côté des chevaux, Arabella discute avec sa mère.
Blaireau s'approche d'elles. Il s'incline devant la comtesse, puis
prend Arabella dans ses bras, et s'éloigne en dansant avec elle.
La caméra suit le couple, qui atteint un coin discret près d'une
roulotte. Blaireau lâche Arabella et dégaine son revolver, qu'il
pointe sur la jeune fille.
BLAIREAU
Pas un mot ou je tire.
ARABELLA DE CHAVILLE
Monsieur Blaireau !
BLAIREAU
Haut les mains !
Arabella lève les mains en l'air. Tout en parlant, Blaireau
l'entraîne derrière la roulotte.
BLAIREAU
Alors, on aime les terreurs, les balafrés, les « gan-
sessse-terre », hein ?
Ils sont arrivés près de Fléchard, qu'Arabella n'a pas encore vu
derrière elle.
BLAIREAU
Allez, embrassez vite votre grand voyou, mmm !
Arabella se penche sur le visage de Blaireau, comme pour
l'embrasser. Blaireau a un léger mouvement de recul.
BLAIREAU
Non, mais dites, pas moi, lui !
Il pointe le doigt sur Fléchard. Arabella se retourne, et colle sa
bouche sur celle de Fléchard, qui la serre contre elle.
Plan légèrement plus rapproché sur Blaireau qui regarde les deux
jeunes gens s'embrasser. Fléchard se détache d'Arabella et regarde
Blaireau.
BLAIREAU
Bon, et bien je vois que l'on n'a plus besoin de moi !
Il se retourne et sort du champ. Les deux jeunes gens s'embrassent
de nouveau, puis se détache lentement l'un de l'autre.
ARMAND FLÉCHARD
Arabella, vous verrez comme nous serons heureux. Dès ma
sortie de prison...
ARABELLA DE CHAVILLE
Je ne veux plus que tu ailles en prison.
ARMAND FLÉCHARD
J'irai tout de même.
ARABELLA DE CHAVILLE
Non.
ARMAND FLÉCHARD
Arabella... à partir de ce soir, c'est moi qui décide.
ARABELLA DE CHAVILLE
Oui, mon amour.
Il se serre l'un contre l'autre.
ARMAND FLÉCHARD
C'est bien entendu.
ARABELLA DE CHAVILLE
Oui, mon amour.
Il la regarde dans les yeux.
ARMAND FLÉCHARD
Bon... bon... ben alors, je n'irai pas en prison.
Ils s'embrassent de nouveau.
Plan moyen de Blaireau en train de « gambiller » avec la comtesse
de Chaville.
Plan moyen de Guilloche, entouré du maire et du juge, toujours
debout à une courte distance du stand de tir, que l'on voit
derrière eux.
MAÎTRE GUILLOCHE
Permettez, messieurs, que je me range à vos côtés
désormais.
Ses deux compagnons lui tendent la main en prononçant un mot
incompréhensible. Guilloche leur prend les mains dans les siennes,
chacune d'un côté.
MAÎTRE GUILLOCHE
Nous lutterons ensemble contre le cataclysme que serait le
gouvernement de notre pays aux mains des Blaireau.
Les deux hommes hochent la tête, puis ils se lâchent les mains, et
tous les trois se retournent pour marcher lentement vers le stand
de tir. Ils ramassent chacun un revolver sur le stand et tirent
ensemble. Puis il reposent les revolvers, se retournent et
regardent la fête.
Plan moyen de Blaireau qui « gambille » toujours avec la comtesse,
tout en lui parlant à l'oreille. La comtesse se tourne vers lui.
COMTESSE DE CHAVILLE
Fléchard ?
Blaireau hoche la tête, puis lui parle encore un peu à l'oreille.
COMTESSE DE CHAVILLE
Arabella ? Oh, c'est merveilleux. Il faut que j'annonce la
bonne nouvelle à son père.
Elle cherche des yeux son mari dans la foule.
COMTESSE DE CHAVILLE
Léon !
Plan moyen d'Arabella dans les bras de Fléchard, debout près des
balançoires. A côté d'eux, le comte de Chaville, l'air un peu
contrarié.
ARABELLA DE CHAVILLE
Mais papa !...
COMTESSE DE CHAVILLE (voix off)
Léon ! Léon !
Le comte se tourne vers son épouse qui s'approche de lui,
accompagné de Blaireau
COMTESSE DE CHAVILLE
Monsieur Blaireau vient de m'apprendre.
Le comte l'arrête de la main.
LÉON DE CHAVILLE
Je sais !
Il se tourne vers Fléchard.
LÉON DE CHAVILLE
Jamais !
Il pointe le doigt vers lui.
LÉON DE CHAVILLE
D'ailleurs, je vais m'occuper de vous.
Il s'éloigne à grandes enjambées. Sa femme le regarde partir avec
surprise.
COMTESSE DE CHAVILLE
Mais enfin... Léon.
Blaireau regarde Fléchard et Arabella.
BLAIREAU
Bon, et ben, moi, je vais m'occuper de lui.
Il s'éloigne dans la même direction que le comte.
Plan moyen du juge en train de boire un verre près des tonneaux,
sur lesquels on peut lire « Clos de Chaville ». Le comte
s'approche, lui prend son verre de la main et le pose.
LÉON DE CHAVILLE
Lerechigneux, un mot. Ce Fléchard est coupable ?
Blaireau arrive près d'eux et se sert un verre au tonneau.
LE JUGE LERECHIGNEUX
Sans aucun doute.
LÉON DE CHAVILLE
Alors, rendez-moi un service. Flanquez-le moi à l'ombre le
plus vite possible.
Les deux hommes se serrent la main. A côté d'eux, Blaireau crache
le vin qu'il venait de boire.
BLAIREAU
Pouah ! Quelle bibine !
Le juge s'éloigne, et le comte se tourne vers Blaireau. Il
sursaute en voyant le tonneau dont Blaireau vient de parler.
LÉON DE CHAVILLE
Mon vin, de la bibine ?
BLAIREAU
Oh-oh ! Du pipi de chat.
LÉON DE CHAVILLE
Mon vin, du pipi de chat ?
BLAIREAU
Oh, tiens, goûtez vous-même.
Il tire un verre de vin du tonneau et le tend au comte.
BLAIREAU
Goûtez vous-même.
Le comte boit une gorgée de vin.
LÉON DE CHAVILLE
Il est excellent, ce vin.
Il rend le verre à Blaireau.
BLAIREAU
Bon, alors, goûtez-le mieux.
Il tire un autre verre de vin, et le tend au comte, qui le boit.
BLAIREAU
Hein ? Hein ? Il racle un peu, hein ?
LÉON DE CHAVILLE
Il est un peu jeune, peut-être.
BLAIREAU
Il est même vert. Tenez, goûtez celui-là.
Il se tourne vers un autre tonneau voisin du premier, et sur
lequel est inscrit « Clos du Duc ». Auguste, debout à côté du
tonneau, est visiblement ivre.
BLAIREAU
Ça, c'est du fameux.
Il tend le verre au comte, qui le goûte.
LÉON DE CHAVILLE
Il est très quelconque.
BLAIREAU
Bon alors, maintenant, goûtez le vôtre à côté.
Mis à part les paroles, qui restent à vitesse normale, les jeux de
scène, à partir de maintenant, sont très légèrement accélérés.
Blaireau tire un verre de « Clos de Chaville », et le tend au
comte qui le boit.
LÉON DE CHAVILLE
Il est excellent, ce vin.
BLAIREAU
On fait celui-là.
Il tire du vin d'un tonneau posé sur les autres, et marqué « 56 »,
et le donne au comte, qui le boit.
LÉON DE CHAVILLE
Manque de corps.
BLAIREAU
Oui, bon, nous sommes d'accord.
Blaireau tire du vin du tonneau voisin de « 56 », et dont on
n'arrive pas à lire le nom. Il donne le verre au comte.
BLAIREAU
Celui-là.
Le comte boit.
LÉON DE CHAVILLE
Ouais... ouais... c'est...
BLAIREAU
Maintenant le vôtre.
Il tire un autre verre de « Clos de Chaville », et le donne au
comte.
BLAIREAU
Tenez !
Le comte boit et rend son verre à Blaireau.
LÉON DE CHAVILLE
Excellent, ce vin.
A partir de maintenant, toute la scène est présentée en accéléré,
même pour ce qui est des paroles, que l'on a donc du mal à bien
comprendre.
Blaireau tire un verre d'un troisième tonneau de Clos de Chaville,
en bousculant un ivrogne, qui se trouvait sur son chemin. Le comte
boit, Blaireau reprend le verre.
LÉON DE CHAVILLE
Je croyais que...
Blaireau revient vers le Clos du Duc, dont il tire un verre, qu'il
donne au comte.
Fondu enchaîné.
MONTPAILLARD - UNE RUE - EXTÉRIEUR NUIT
Plan moyen de Blaireau et du comte, toujours debout à côté des
tonneaux. Il doit être un peu plus tard, car la nuit est tombée.
Le comte est visiblement et totalement ivre. Blaireau, lui, est un
peu moins ivre que le comte, mais titube quand même légèrement. Le
comte ricane bêtement d'un rire d'ivrogne.
BLAIREAU
Si t'étais gentil...
Zoom avant sur les deux hommes.
LÉON DE CHAVILLE
Écoute... écoute... appelle-moi Léon.
Il prend Blaireau dans ses bras.
BLAIREAU
Si t'étais gentil, Léon...
LÉON DE CHAVILLE
Moi, je suis toujours gentil, moi, mon ami Blaireau.
BLAIREAU
Alors, si t'étais, Léon, gentil, tu me donnerais la main de
ta fille.
LÉON DE CHAVILLE
Oh !... Je te la donne, mon vieux Blaireau.
Il l'embrasse sur le front.
BLAIREAU
Mais c'est pas pour moi.
LÉON DE CHAVILLE
Ah... C'est pas... c'est pas pour toi ?
BLAIREAU
Non. C'est pour Fléchard.
LÉON DE CHAVILLE
Ah ? C'est pour Fléchard ? Tout ce que tu fais est bien
fait, mon... Blaireau.
Il l'embrasse de nouveau sur le front.
LÉON DE CHAVILLE
Allez hop ! Va pour Fléchard !
IL CRIE :
LÉON DE CHAVILLE
Fléchard !... Oh-oh !...
Il s'éloigne en titubant. Blaireau le regarde partir, puis fait un
grand signe dans l'autre direction.
Plan moyen sur Arabella et Fléchard, assis dans une voiture du
manège, avec le chien de Blaireau. Ils se lèvent. le chien aboie
et saute hors de la voiture. On découvre que la comtesse, qui se
lève à son tour, était aussi assise dans la voiture, mais cachée à
notre regard par les chevaux de bois. Arabella envoie un baiser à
Blaireau et se serre contre Fléchard. La comtesse aussi envoie un
baiser à Blaireau.
Plan rapproché sur Blaireau, qui regarde les amoureux, le verre à
la main.
LÉON DE CHAVILLE (voix off)
Hé, Blaireau...
Blaireau se retourne
LÉON DE CHAVILLE (voix off)
Hé... tu viens boire un coup, Blaireau ?
Blaireau a un hoquet et fait, d'un seul coup, une drôle de tête,
puis il tombe à la renverse.
FONDU ENCHAÎNÉ
MONTPAILLARD - PLACE DE L'ÉGLISE - EXTÉRIEUR JOUR
Plan rapproché sur Arabella et Fléchard, tous deux en habit de
mariés.
Zoom arrière, nous permettant de découvrir les invités de la noce,
tous en habit et chapeau haut-de-forme pour les hommes et en robe
de gala pour les femmes. Nous sommes devant la porte fermée de
l'église. Le photographe s'approche des mariés.
LE PHOTOGRAPHE
Voilà, ils sont charmants.
Le zoom continue, nous permettant de découvrir, parmi les invités,
tous les personnages du film que nous connaissons déjà. Seul Parju
n'est pas en habit, mais en uniforme, et Blaireau ne porte pas de
haut-de-forme, mais son éternel béret. Au premier plan, en bas des
marches, nous découvrons l'appareil photo, posé sur son trépied.
Le photographe va de l'un à l'autre des invités.
LE PHOTOGRAPHE
Monsieur Bluette, Maître Guilloche, Parju, madame de
Chaville, mademoiselle Rose.
Il passe de l'autre côté des mariés.
LE PHOTOGRAPHE
Voyons, monsieur Blaireau, monsieur de Chaville, monsieur
le juge, monsieur le maire. Parfait !
Il redescend vers son appareil et passe derrière l'appareil.
LE PHOTOGRAPHE
Attention, ne bougeons plus !
Plan rapproché sur Blaireau, debout à côté du comte, qui se penche
vers lui, et lui parle discrètement.
LÉON DE CHAVILLE
Vous m'avez bien saoulé l'autre soir, hein, animal !
Blaireau se penche et parle entre ses dents.
BLAIREAU
Ça n'a pas été sans mal.
LE PHOTOGRAPHE (voix off)
Souriez !
Plan rapproché sur le photographe, vu de face derrière son
appareil. Derrière lui, des badauds regardent la noce.
LE PHOTOGRAPHE
Parfait ! Ne bougeons plus.
Il met le voile noir de l'appareil sur sa tête, et prend le
déclencheur en main. On entend les cloches de l'église. Zoom avant
sur l'appareil.
LE PHOTOGRAPHE
Un... deux... et trois...
Plan de demi-ensemble de l'entrée de l'église, avec les mariés et
leurs invités, qui prennent la pose en haut des marches. Une deux-
chevaux Citroën s'arrête devant les marches. L'arrière de la
voiture est plein de valises et d'équipement de pêche. La porte
arrière s'ouvre et un gendarme en descend, puis un autre gendarme.
Le procureur, lui, descend du siège passager avant.
LE PHOTOGRAPHE (voix off)
Le petit oiseau va sortir !
Les gendarmes se saisissent de Fléchard et l'entraîne avec eux.
Ils s'arrêtent devant le procureur, debout à côté de sa voiture.
LE PROCUREUR
Monsieur, vous vouliez aller en prison ? Et bien, allez-y !
ARMAND FLÉCHARD
Mais je me marie.
Le procureur sort un papier de sa poche et le tend à Fléchard
LE PROCUREUR
Voilà, vous en prison, et moi, en vacances.
La voiture redémarre, en laissant sur place le procureur, qui
court après la voiture.
LE PROCUREUR
Hé ! Attendez-moi !
Les gendarmes emmènent Fléchard, suivi par tous les invités de la
noce, mariée en tête. Fléchard se retourne.
ARMAND FLÉCHARD
Arabella !...
ARABELLA DE CHAVILLE
Armand !...
Les gendarmes sortent du champ avec Fléchard. Le groupe de la
noce, en plan de demi-ensemble, s'arrête face à la caméra.
Arabella se serre contre Blaireau.
COMTESSE DE CHAVILLE
Léon ! Faites quelque chose !
Plan moyen sur le photographe, qui enlève son voile noir.
LE PHOTOGRAPHE
Oh, ben non alors, voyons !
Il s'appuie sur son appareil, qui s'écroule sous son poids.
Fondu au noir
MONTPAILLARD - PLACE DEVANT LA PRISON - EXTÉRIEUR NUIT
Vue d'ensemble de la place devant la prison. Il fait nuit.
Arabella, toujours en habit de mariée, est appuyée contre la
porte. A ses pieds, le chien de Blaireau gémit. Blaireau entre
dans le champ et traverse la place vers la prison. Il s'arrête et
se frappe les mains sur les cuisses. Puis il reprend sa marche
d'un air décidé. Son chien vient vers lui.
Plan moyen d'Arabella, en larmes, son bouquet à la main, et
appuyée sur le côté du porche. Blaireau s'approche d'elle.
BLAIREAU
Oh !... Regardez-moi ça. Attendez !...
Il frappe sur la porte à coups de poing.
BLAIREAU
Monsieur Bluette !
Il refrappe.
BLAIREAU
Monsieur Bluette !
PRISON - COUR D'ENTRÉE - EXTÉRIEUR NUIT
Plan moyen de Bluette en pyjama, debout derrière la porte. Il a
son gros livre du règlement des prisons à la main.
MONSIEUR BLUETTE
Non, non, non !
Blaireau frappe de nouveau. Bluette marche de long en large.
BLAIREAU (voix off)
Monsieur Bluette !
MONSIEUR BLUETTE
Non ! Non !
BLAIREAU (voix off)
Monsieur Bluette !
Bluette se dirige vers la porte et l'ouvre.
MONTPAILLARD - PLACE DEVANT LA PRISON - EXTÉRIEUR NUIT
Même plan moyen que précédemment. Bluette ouvre la porte, mais ne
sort pas.
MONSIEUR BLUETTE
Non !
Blaireau se tourne vers Arabella.
BLAIREAU
Vous ne pouvez pas laissez cette petite femme dehors, le
soir de ses noces.
MONSIEUR BLUETTE
Mais Blaireau, mais...
Il feuillète le livre du règlement.
MONSIEUR BLUETTE
... le règlement.
Il a ouvert le livre à la page concerné. Blaireau regarde le livre
un court instant, puis prend la page concernée, la déchire hors du
livre et la froisse. Bluette le regarde.
BLAIREAU
Ah, vous n'auriez pas pensé à ça ?
MONSIEUR BLUETTE
Ouais !
Il regarde autour de lui.
MONSIEUR BLUETTE
Mais que personne n'en sache rien, hein ?
BLAIREAU
Personne, monsieur.
MONSIEUR BLUETTE
Personne !
Blaireau hausse la voix.
BLAIREAU
Personne !
Bluette tend la main à Arabella.
MONSIEUR BLUETTE
Entrez, chère petite madame.
Arabella sourit et entre dans la prison. Elle ressort un instant
et se serre contre Blaireau.
ARABELLA DE CHAVILLE
Oh, monsieur Blaireau.
BLAIREAU
Ouais, ouais... Oui, allez, allez...
Elle entre et la porte se referme. Blaireau met ses mains en
porte-voix, mais la porte s'ouvre de nouveau, et Bluette apparaît,
un doigt sur les lèvres.
MONSIEUR BLUETTE
Chut !
Blaireau baisse les mains et fait un geste d'obéissance. La porte
se referme. Blaireau remet ses mains en porte-voix et crie :
BLAIREAU
Ça y est !
LA FOULE (voix off)
Vive les mariés !
Vue d'ensemble de la place devant la prison. Des fenêtres
s'allument, et des gens portant des flambeaux et des lampions
allumés descendent d'un escalier entre deux immeubles.
LA FOULE
Vive les mariés ! Vive les mariés !...
D'autres personnes arrivent par la rue, portant, elles aussi, des
lampions. Tous convergent vers la place.
MONTPAILLARD - ENTRÉE DE LA VILLE - EXTÉRIEUR NUIT
Vue générale de Montpaillard, éclairée et animée de porteurs de
lampions. Une fusée éclate dans le ciel. D'autres porteurs de
lampions passent en premier plan, se dirigeant vers le centre
ville. Les enfants se tiennent la main en farandole.
Zoom arrière, nous permettant de découvrir la pancarte posée à
l'entrée de la ville : « La Ville la plus Calme de France ».
Blaireau est devant la pancarte, un crayon à la main. Il trace une
grande croix sur le mot « calme », et écrit au-dessus le mot
« Gaie ». Puis il se tourne en souriant vers la caméra. Parju
s'approche de lui, un petit paquet à la main.
PARJU
Tiens ! C'est pour toi.
BLAIREAU
Mais je suis confus.
Il prend le paquet.
PARJU
Oui, oui...
BLAIREAU
C'est pour moi ?
Il commence à ouvrir le paquet.
PARJU
Oui-oui, c'est pour toi.
A l'intérieur du paquet, une petite boîte en bois avec un
couvercle. Blaireau voit un bouton à côté du couvercle. Il fait
signe à Parju, qui hoche la tête. Blaireau appuie sur le bouton et
le couvercle s'ouvre tout seul. Un gendarme à l'ancienne, comme on
en voit chez Guignol, jaillit hors de la boîte, grâce à un
ressort. Parju frappe sur l'épaule de Blaireau.
PARJU
Je t'ai eu, Blaireau !
Blaireau rit, et tape sur l'épaule de Parju, qui, à son tour, tape
sur l'épaule de Blaireau. Blaireau tape sur l'épaule de Parju, qui
tape sur l'épaule de Blaireau... Ils continuent à se taper
mutuellement sur l'épaule, jusqu'à ce qu'ils cessent de rire tous
les deux. La plaisanterie a tourné en bagarre, et les coups qu'ils
se donnent deviennent des bourrades plus agressives.
FONDU ENCHAÎNÉ
THÉÂTRE GUIGNOL - INTÉRIEUR JOUR
Nous retrouvons le théâtre de marionnettes, que nous avions déjà
vu pour le générique.
Gros plan sur les deux marionnettes, celle qui ressemble à
Blaireau et celle qui ressemble à Parju. Elles s'envoient
mutuellement des bourrades, comme nous venons de voir les
véritables Blaireau et Parju le faire. En fait, pendant le temps
du fondu enchaîné, les deux bagarres, la réelle et celle des
marionnettes, se superposent. Puis les marionnettes arrêtent de se
bagarrer et nous saluent. Le mot « FIN » s'inscrit en lettres
blanches sur l'écran, et se rapproche de nous en zoom avant. Les
deux marionnettes se regardent, hochent la tête, puis se tournent
de nouveau vers nous pour nous saluer.
Fondu au noir.
FIN DU FILM
|